Depuis la fermeture des établissements scolaires, les enseignants se sont mobilisés pour rester en lien avec les familles. Témoignages de deux directeurs d’écoles, qui accueillent également des enfants de soignants.
Dès l’annonce de la fermeture des écoles, l’équipe pédagogique de l’école élémentaire Hermel, s’est organisée pour poursuivre les cours à la maison. Chaque enseignant a mis en place un système de travail par mail : une à deux fois par semaine, ils envoient un petit devoir à faire aux enfants, que les parents leur retournent. « On s’est demandé si on donnait des révisions ou si on continuait le programme », souligne Caroline Jarraud, la directrice, « sachant que pour certains élèves ce sera plus difficile. Mais on a pris le soin de donner du travail pour tout le monde, y compris aux allophones. » Et pour ceux qui n’ont pas internet à la maison, une maman a proposé de commander des cahiers de vacances et de les faire livrer chez eux.
« Très vite s’est mis en place un système de solidarité incroyable, notamment envers les familles les plus fragiles », se réjouit Caroline Jarraud. Dans son école, les parents délégués sont très investis et communiquent beaucoup entre eux. Les liens entre les familles et l’équipe pédagogique se sont également renforcés. « On s’appelle régulièrement pour se tenir informés. Une proximité affective s’est instaurée entre les enfants et leurs enseignants. »
Confinement et promiscuité
Dans l’école maternelle Richomme (classée REP +), qui accueille des enfants d’un milieu plus défavorisé qu’à Hermel, la fermeture des classes et le confinement général ont fait émerger d’autres problèmes. « Plus de 40 % des familles ont des revenus très faibles et sont très mal logées », souligne Laurent Ribaut, directeur de cette école. « Comment font les familles de cinq personnes pour vivre confinées dans moins de 20 m2 ? » s’interroge-t-il. Une quinzaine d’élèves habitent par ailleurs dans des hôtels sociaux.
L’équipe pédagogique a dû s’adapter à chaque cas. « Pour ceux qui savent se débrouiller avec internet, on leur propose des sites et des liens. On a repéré aussi avec les enseignants les parents qui ne savent pas lire et ont besoin d’un contact oral. Et on a décidé de les appeler régulièrement pour savoir comment ils vont et leur donner des conseils. On a aussi proposé à certains quand ils sortent faire leurs courses, de passer à l’école, où on laisse une enveloppe à leur nom avec un cahier, des crayons, des gommettes… » Laurent raconte aussi de belles histoires. Comme celle de ce petit garçon de 3 ans, dont les parents ne parlent pas français. « Le papa a enregistré sur son portable le message que son fils voulait nous adresser et l’a laissé sur notre messagerie » : “ Maîtresse, tu ne veux pas venir chez nous” ?" L’enseignante l’a rappelé, lui a chanté une comptine et restera en lien avec lui.
Laurent Ribaut se fait néanmoins du souci pour certaines familles. Beaucoup de mamans vivent seules avec leurs enfants et exercent des métiers précaires. Quelques-unes vivent de vente à la sauvette. « C’est pour elles qu’on est le plus inquiet, même s’il s’agit d’une petite minorité. Quels seront leurs revenus si elle ne peuvent plus rester dans la rue ? »
L’accueil des enfants de soignants
L’école Richomme, comme l’école Hermel, s’est également portée volontaire pour accueillir des enfants de soignants. Mais ils sont moins nombreux que prévu : sur la douzaine d’inscrits à Hermel, seuls sept sont présents, certains parents ayant trouvé d’autres modes de garde. Ils sont encadrés par des enseignants volontaires eux aussi, qui se relaient, et des animateurs de la Ville de Paris. « Les enfants travaillent quelques heures le matin, puis jouent au basket, à la corde à sauter, au cerceau, explique Caroline Jarraud. On leur a donné des craies pour faire une fresque dans la cour. Malgré le climat oppressant, ils se sentent plutôt bien. »
Les parents ont fait preuve, là aussi, d’une belle solidarité. A Richomme, certains ont proposé de concocter des petits plats. « C’est très réconfortant », souligne Laurent Ribaut, « car la situation est préoccupante. Dans la journée, tout se passe bien et on n’y pense pas. Mais le soir, quand on écoute les infos, on réalise qu’on prend des risques. »
Le directeur ne cache pas sa peur de la contagion. « Il est impossible de faire respecter tous les gestes barrières aux petits : le lavage des mains, on y arrive. Mais rester éloigné d’un copain, c’est impossible. » Il craint que le regroupement annoncé des enfants de soignants dans un nombre plus restreint d’écoles ne devienne problématique en terme de prévention. Et Caroline Jarraud s’interroge : « On ne sait pas comment la situation va évoluer, mais si les enfants étaient trop nombreux, je ne sais pas si je serais encore volontaire. »
Photo : Yves Sanquer