Contre les féminicides et violences sexuelles, un groupe de femmes colle ses slogans dans les rues de l’arrondissement.
Le collage d’affiches anti-féminicides (ici en février 2020 près de la Fémis), vise aussi à soutenir la parole des femmes trop souvent niée.
« Elle le quitte, il la tue ». « Nous arrêterons de coller quand vous arrêterez de tuer ». Nous avons suivi des colleuses du 18e arrondissement qui, à la nuit tombée, inscrivent ces messages en lettres noires. Rendez-vous au métro Lamarck à 21 h. Premiers sourires échangés entre les filles qui brandissent chacune leur seau en signe de reconnaissance. Ce soir, Alice colle pour la troisième fois. Elle ne connaît ni Raphaëlle, ni Julie. Elles se sont donné rendez-vous par internet.
La capitale est divisée en quatre zones de collage. Au sein de la zone du nord-ouest de Paris, Nina, étudiante de 21 ans qui vit à la porte des Poissonniers, a créé un sous-groupe de discussion pour les femmes habitant comme elle le 18e arrondissement. « Il y a plus de 95 filles dans cette conversation virtuelle », raconte-t-elle, agréablement surprise.
À la Fémis contre les César
L’action organisée par le groupe des colleuses du 18e ce jeudi soir est ciblée. On est alors à la veille de la cérémonie des César, grand-messe annuelle du 7e art français. Parmi les nominés, Roman Polanski, sélectionné dans douze catégories pour son film J’accuse. Le réalisateur franco-polonais est aussi sous le coup de douze accusations de viols ou d’agressions sexuelles dont plusieurs concernent des mineures.
Or, à quelques rues de là, derrière un grand portail métallique se trouve l’école la plus prestigieuse du cinéma français. La Fémis est un lieu hautement symbolique pour dénoncer les violences sexuelles et le sexisme qui gangrènent le milieu : tant de grands noms du cinéma sont passés par ses bancs !
Les messages – « Adèle Haenel, on te croit », « Le cinéma français récompense les pédocriminels, les violeurs et les machistes » – collés il y a une semaine face au bâtiment, sont restés quasiment intacts. Après avoir remplacé quelques lettres manquantes, Alice ajoute sur le mur bien rempli ce qu’elle a peint spécialement pour l’occasion : « Polanscrime ».
Menaces et encouragements
A l’origine de l’engagement de ces femmes, la volonté de protester contre les féminicides. C’était l’objet des premiers collages en lettres noires de l’ancienne Femen Marguerite Stern sur les murs de Marseille pendant l’été 2019. Les messages se sont progressivement attaqués à l’ensemble des violences sexuelles et sexistes, au gré de l’actualité. « Il n’y a pas une nana qui ne connaît pas une nana qui a été victime de violence quelle qu’elle soit, s’indigne Julie. Coller ces messages, c’est une manière de le rappeler sans faire de mal à personne. »
L’affichage sur les murs de la ville représente toutefois un délit. Les colleuses risquent une amende de 68 €. Mais dans les faits, les hommes en uniforme interviennent rarement. « Les policiers qu’on a croisés pendant mon premier collage, la semaine dernière, nous ont même conseillé un mur pour coller », raconte Raphaëlle, amusée.
La menace peut venir d’ailleurs. Derrière le cimetière de Montmartre, près de la place de Clichy, un collage en témoigne : « Ici des colleuses se sont fait agresser. » Des situations extrêmes qui n’arrivent que très rarement. Parfois, les passants se plaignent. Comme lors du collage organisé ce jeudi à Lamarck. « Ça pourrit le mur ! », hurle un homme, un brin menaçant sur sa moto arrêtée face aux trois jeunes femmes.
Mais dans la grande majorité des cas les riverains sont bienveillants. « On a reçu beaucoup d’encouragements de la part de personnes de tous âges, hommes et femmes », raconte Raphaëlle. Si bien que le 18e arrondissement a plutôt bonne réputation chez les colleuses. « Dans le 16e, tu ne peux pas passer deux minutes sans qu’on te menace d’appeler la police », s’agace Nina.
« En France : un viol toutes les 7 minutes », « Liberté, égalité, sororité », « 9 victimes de viol sur 10 connaissent leur agresseur ». Toutes les colleuses sont libres de peindre et de coller ce qu’elles veulent. Seule règle, qu’il y ait consensus parmi les femmes présentes à chaque session. « Le collage n’est pas un mouvement à proprement parler, c’est un moyen d’action horizontal », résume Nina. La même logique s’applique pour l’épineuse question de la mixité. Persona non grata dans les discussions WhatsApp, les hommes peuvent en revanche participer aux collages s toutes les participantes sont d’accord.
Extérioriser la colère
Ce dimanche suivant la cérémonie des César marquée par la récompense de Roman Polanski et la sortie fracassante d’Adèle Haenel, elles sont encore plus nombreuses et plus remontées. « Vendredi soir j’ai vrillé, confie l’une d’entre elles. Il fallait que j’extériorise ma colère. » Juchées sur des poubelles de rue, elles assènent de puissants coups de brosses à encoller. « Récompenser Polanski, c’est cracher au visage des victimes » : ces mots d’Adèle Haenel, elles ont choisi de les coller sur un grand mur de la rue Duc.
Face aux violences quotidiennes, le collage donne l’impression à ses adeptes de reprendre le contrôle et de se sentir plus fortes, ensemble. « Quand tu as passé une mauvaise journée, que tu t’es fait emmerder par un frotteur dans le métro, tu vas coller et ça va mieux », raconte Alice. Un sentiment partagé par Nina qui loue aussi « la bienveillance des filles entre elles ».
Dans une pénombre propice au partage, Clotilde confie son drame personnel : « Je sais trop ce que c’est de ne pas être crue. » Le visage éclairé par la lueur des lampadaires, elle raconte : « Moi, on ne m’a pas crue parce qu’il portait des chaussures bateau et une chemise à carreaux. On m’a traitée de salope », se souvient la jeune femme enveloppée par une ronde de colleuses. •
Photo : Corentin Schimel