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mai 2020 / La vie du 18e

Dans la rue : le confinement à la marge

par Sophie Roux

« Restez à la maison ! » Cette injonction répétée s’avère inapplicable pour ceux qui ont la rue comme seul abri. Le confinement de toute la population rend aussi leurs conditions de vie plus difficiles et précaires.

L’état d’urgence sanitaire imposant du jour au lendemain le confinement à toute la population a rendu très compliquée la vie des sans-abri. « Population à risque, ils sont les grands oubliés du confinement. Avec une santé déjà fragile, un suivi médical irrégulier, ils sont exposés, pratiquement sans aucune protection, à la maladie. Il a fallu, au départ, faire beaucoup de pédagogie, sensibiliser. » Le constat de Louis Barda, coordinateur à Médecins du Monde, est celui de nombreux acteurs associatifs. « Sans compter que le manque d’argent se fait sentir pour ces personnes vivant de la manche, quand le reste du monde est confiné à domicile. »

Oubliés

Distributions alimentaires réduites, fermeture des structures d’accueil et de soins, difficultés rencontrées par les bénévoles des associations d’aide auprès des forces de police pour assurer leur mission, manque de matériel de protection, harcèlement de migrants par les forces de l’ordre et destruction de biens... les récits des difficultés rencontrées ne manquent pas auprès des autres associations de l’arrondissement. Clarisse Bouthier, bénévole à Solidarité migrants Wilson, de conclure son énumération par un « bref, disons que le début du confinement a été rock’n roll ! »

Sur l’accès à l’eau, de nombreuses fontaines parisiennes, fermées en hiver et généralement rouvertes début mars, ne l’avaient pas été le 17 mars. Les autres étaient hors d’usage ou inaccessibles (parcs, jardins et cimetières étant fermés). Depuis, la plupart des fontaines ont été remises en fonction et une dizaine de becs « eau de Paris » ont été installés en plusieurs endroits de l’arrondissement. 17 sanisettes ont également été ouvertes par Decaux, alimentées en eau potable. Le maire du 18e, Eric Lejoindre, reconnaît à mi-mots les retards en la matière. Il fait ensuite le compte des distributions alimentaires : « en plus du 70 boulevard Barbès, qui est un des trois lieux de distribution alimentaire de la Mairie de Paris et du centre d’action sociale, il y a dans le 18e une vingtaine de points gérés par des associations ou des paroisses. Plus de 2 500 repas sont ainsi distribués chaque jour, en plus des 1 000 du SAMU social. » Quant aux difficultés rencontrées par des associations, comme la Table ouverte, il évoque la possibilité pour la Mairie d’arrondissement d’allouer quelques fonds pour leur permettre de poursuivre cette activité nécessaire à la survie des habitants les plus précaires. Il ajoute que des masques livrés en mairie ont pu être donnés aux associations sur le terrain. Un peu partout, la solidarité s’est aussi organisée grâce à des restaurants et des habitants distribuant aux personnes isolées des bouteilles d’eau et des repas chauds.

Autre effet du confinement : les demandeurs d’asile – nombreux aux environs des portes de La Chapelle et d’Aubervilliers – n’étaient plus enregistrés auprès de la Préfecture, rendant impossible toute ouverture de droits. La Ligue des droits de l’homme (LDH) nationale a saisi la justice en référé et obtenu gain de cause. Le conseil d’Etat a en effet confirmé le 30 avril la décision du tribunal administratif, de laquelle le ministère de l’Intérieur avait fait appel. Le dispositif d’enregistrement des demandes d’asile supprimé au mois de mars a donc été rétabli.

Invisibles devenus visibles

Interrogé sur les plaintes de riverains, Louis Barda insiste sur le fait que « cette situation rend les sans-abri beaucoup plus visibles, car il n’y a plus qu’eux dehors ». Même constat pour Léon Gomboroff, directeur du centre Aurore EGO de la Goutte d’Or, dédié à l’accueil d’usagers de drogue : il confirme en certains endroits connus comme des lieux de consommation une montée des tensions avec des riverains confinés chez eux plus attentifs à ce qui se passe dans la rue. « Ce qui habituellement est masqué par l’activité et le bruit, est grossi. » Par ailleurs, il insiste sur le fait que le confinement et les difficultés financières ravivent les situations de manque ou l’accès à des produits de mauvaise qualité. Ceux-ci étant plus difficiles à trouver, les consommations d’alcool, de tabac, et de médicaments augmentent. Néanmoins, les demandes de produits de substitution sont en hausse.

Quant aux structures d’accueil et de suivi, plusieurs sont fermées. Celles qui restent ouvertes doivent respecter les gestes barrières, reçoivent moins de monde et se focalisent plus sur les aspects pratiques que sur les échanges. Des solutions de confinement ont finalement été proposées à quelques personnes. Concernant les usagers de drogues, plus de 60 places ont été attribuées dans des hôtels, dont plusieurs dans le 18e, faisant passer à près de 320 le nombre de places dans tout Paris. Les responsables d’association, que ce soit Aurore EGO ou Gaïa – en charge de la salle de consommation à moindre risque de Lariboisière – , se montrent satisfaits d’avoir obtenu en quelques semaines ce qu’ils demandaient depuis des années. Pour l’après-confinement, ils espèrent obtenir de nouveaux hébergements pour 160 personnes suivies et encore sans-abri.

Pour l’hébergement des personnes malades, le centre Ney, ouvert en 2016 par la préfecture pour accueillir des femmes réfugiées, a ouvert 40 places pour des sans-abri Covid-19 testés en hôpital. On pourrait espérer que le programme Covisan, destiné à l’accueil de malades asymptomatiques, puisse accueillir des personnes sans-abri : l’un des quatre hôtels est proche de l’hôpital Bichat. Cette pandémie pourrait avoir des répercussions à long terme pour ces oubliés du confinement.

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