Pendant ce deuxième confinement, intervenu durant une période de l’année souvent essentielle pour leur chiffre d’affaires, les petits commerçants ont inventé des moyens de ne pas perdre le contact avec leur clientèle et surtout, de ne pas baisser définitivement leur rideau.
Une queue impressionnante s’étire devant l’Attrape-cœurs, sur la butte Montmartre, et en réponse à notre appel, le vendeur du Rideau-Rouge, à Marx Dormoy, a du s’excuser : « On est débordé ! » Confinées les librairies ? Pour la vingtaine que compte l’arrondissement, le livre apparait clairement comme un objet de première nécessité. C’est aussi le cas pour Marie-Rose Guarnieri, de la librairie des Abbesses, qui a alerté les médias en invitant Sylvain Tesson et Anne Hidalgo devant sa boutique début novembre. Alors toutes se sont mobilisées dès l’annonce du confinement. Les librairies ont l’avantage sur d’autres commerces de s’être déjà organisées contre les géants de la vente en ligne grâce aux réseaux de librairies indépendantes, qui permettent de trouver l’ouvrage que l’on cherche dans la librairie la plus proche de chez soi. La loi de 1981 sur le prix unique du livre limite également la concurrence des grandes chaînes. Toutes ou presque ont apposé sur leur vitrine une affiche indiquant à quel numéro on peut passer commande. Elles publient chaque semaine des newsletters qui rappellent l’adresse des sites de commande.
Vendre en ligne, un autre métier
Malgré le stress, ce secteur semble s’en sortir. D’autres sont plus inquiets. Les magasins de jouets par exemple, dont une grande partie du chiffre d’affaires se fait en période de Noël. L’école buissonnière possède plus de 5 000 références de jeux et jouets dans sa boutique de la rue Hermel. « On a un système click and collect sur notre site depuis déjà un moment. Nous avons ajouté une permanence téléphonique et nous sommes ouverts 7 jours sur 7. Il y a une très grande solidarité de la part des clients… », explique la propriétaire. « Et il s’est passé une chose extraordinaire : Coline, une habitante du quartier qui est photographe, a passé un après-midi gracieusement à prendre des centaines de photos pour que nous puissions les poster sur les réseaux sociaux ; pour le site internet, on utilise les photos des fabricants. »
Tous les petits commerçants sont d’accord : « C’est un autre métier : mettre les produits sur les réseaux sociaux demande un temps fou, faire des photos ou récupérer des visuels auprès des fournisseurs, faire de belles mises en ambiance pour que les gens se rendent compte », résume Alice. Elle a créé Louisette, une boutique-cadeaux aux Abbesses. En novembre, ses matinées se passaient à lire les mails, écouter les messages laissés sur le répondeur, alimenter le net. La boutique ouvrait trois après-midi par semaine, pour fournir les commandes, ou aider les clients à trouver ce qu’ils cherchent : cela se passe sur le seuil, avec le masque, le gel et Alice qui montre les objets… Elle envisageait même de livrer.
Des aides insuffisantes
« A la suite du premier confinement, j’avais fait une étude de marché pour me transformer en e-commerce mais ce n’est pas approprié à ce que je vends. » Sa boutique est remplie d’objets de toutes sortes, d’exemplaires uniques, choisis avec soin, en calculant une gamme de prix abordable : « C’est une caverne d’Ali Baba, on vient pour une chose, on part avec une autre… » Alice considère également que « les aides pour le passage au numérique sont insuffisantes ».
Compliqué aussi pour Marie, fleuriste au marché de l’Olive, seule commerçante à avoir son rideau tiré. Elle affirme ne rien connaître au virtuel, mais se débrouille pour que ses habitués ne soient pas privés de bouquets. « J’ai changé mes horaires, je passe des heures au téléphone, j’ai créé ma petite liste WhatsApp, mis des affiches… J’espère pouvoir payer mes charges…Et derrière moi, je n’oublie pas qu’il y a les horticulteurs français qui paniquent avec les fêtes. » Marie fait partie des réseaux Le collectif de la fleur française » et Fleurs d’ici, qui ont mis en place des plateformes pour réconcilier le digital et cet artisanat, très durement touché par les mesures.
Car sites internet, plateformes et réseaux sociaux (montmartre-addict.com, le collectif 18 sur facebook, petitscommerces.fr, ahmazone.fr …) tentent d’aider, mais sera-ce suffisant ? La plateforme Cdiscount propose aux petites boutiques d’héberger gratuitement pendant six mois sur son site celles qui pratiquent le « click and collect ». Mais ces valeurs ne conviennent pas à Alice et cela ne correspond pas à sa clientèle. « C’est une fausse bonne idée », affirme-t-elle. Les commerçants ont développé une inventivité et une énergie remarquables. Ils ont montré une capacité d’adaptation incroyable. Pourtant l’inquiétude demeure… Le déconfinement permettra de réouvrir mais avec des précautions qui limiteront encore l’accès aux magasins. Que se passera-t-il quand tous ces petits commerces n’auront plus de trésorerie ? Ou si un troisième confinement survient ? Et si les aides demeurent aussi complexes à obtenir ?
- L’école buissonnière - 21 rue Hermel
- Louisette - 29 rue Véron
- L’Olive en fleurs, marché de l’Olive, fait partie des réseaux fleurs d’ici et du collectif de la fleur française
Photo : Dominique Dugay