Comment le spectacle reste-t-il vivant, malgré tout ? C’est ce que nous avons voulu savoir en échangeant avec la compagnie Gaby Sourire : Sylvie Haggaï, directrice, Christophe Sigognault, comédien, auteur, metteur en scène.
18duM : Quelles ont été pour la compagnie Gaby Sourire les conséquences de cette période de confinement ?
Sylvie Haggaï : Nous avons arrêté toutes nos activités. La dernière intervention est une participation à la Goutte d’Or, dans le cadre de la semaine du livre début mars. Nous avons proposé une soirée autour du courage et, plus précisément, de Mère courage et ses enfants de Bertold Brecht, à la salle Saint-Bruno, avec des poésies, des slams, des lectures, une exposition de dessins réalisés par des enfants du quartier. Le confinement a été une sidération, il a fallu prendre la mesure de la situation.
Christophe Sigognault : Tous les projets de la compagnie ont sauté ! Il a fallu un peu de temps pour entrer dans une autre dynamique...
18duM : Avez-vous pu continuer à travailler, à intervenir... peut-être autrement ?
S. H. Nous avons gardé le lien avec l’inter-associatif, les partenaires, les habitants, à la Goutte d’Or et à Drancy, où nous intervenons régulièrement. Nous avons beaucoup utilisé les réseaux sociaux, les visioconférences, nous avons multiplié les coups de fil, le partage de supports culturels, à distance. Dans ce temps qui a montré une grande fragilité sociale, c’était important que la compagnie soit là pour soutenir les habitants, qu’elle soit un relais d’informations avec ses partenaires et avec toutes les associations du quartier, même si elle ne pouvait pas être là physiquement.
C. S. En gardant le contact, on a senti que les gens avaient faim de culture. Ils nous ont remercié de leur avoir envoyé des supports culturels, de la douceur, de la beauté. C’est bien ces moyens de communication, on a fait des sortes de performances, mais une compagnie a besoin de voir les gens, de partager des choses ! Je m’en suis rendu compte en les retrouvant dans la rue après le confinement. Encore plus sans doute. « Quand est-ce qu’on fait la fête ? », m’a-t-on demandé.
S. H. A travers un écran, ce sont des fenêtres qu’on peut ouvrir mais WhatsApp ne remplacera pas la rencontre entre des artistes et un public !
18duM : Quels sont vos projets ? Comment allez-vous faire avec le flou sur l’ouverture des salles de spectacle ?
C. S. J’ai travaillé pour une autre compagnie dans l’Essonne, La Constellation, sur l’écriture d’un texte porté musicalement, avec des acrobates. Nous nous en sommes inspirés pour Gaby Sourire, pour proposer un spectacle début juillet dans lequel la musique est un véhicule pour faire parler les mots. Des mots parfois durs aussi. On a commencé les répétitions à la mi-mai.
S. H. Avec un trompettiste-percussionniste et un guitariste, Christophe arpentera l’espace public, avec des pauses, des prises de parole. On a hâte de ces retrouvailles après plusieurs semaines d’absence ! Le spectacle s’appelle Histoires en ballade, inspirées librement de contes tsiganes. Le trio itinérant s’est déjà produit les 5 et 8 juillet dans les immeubles de Paris Habitat. Deux autres dates sont prévues le 22 juillet et le 6 septembre. Nous avons aussi un projet qui nous tient à cœur. A partir de la rentrée nous commencerons à répéter, à faire des lectures pour Shakespeare s’invite chez vous. C’est un projet bâti sur une série en quatre épisodes, sur deux ans, inspiré de la pièce Le songe d’une nuit d’été. Pour le moment, on ne peut pas vous en dire plus !
18duM : Comment voyez-vous l’avenir de la compagnie après cette période si particulière ?
S. H. Je crois que cette période a conforté nos envies et nos choix : le spectacle dehors plutôt que dedans, proche des gens... Des plateaux il y en a partout ! Intervenir dans l’espace public a un impact fort et toute l’équipe, les comédiens ont envie de ces rencontres, du contact avec les habitants, avec les enfants dans les écoles. Nous acceptons la part de travail social qui fait partie de notre identité. C’est cette liberté qu’on souhaite préserver, avec des moyens modestes, mais nous aurons aussi besoin du soutien de nos partenaires (Ville de Paris, Paris Habitat, ICF La Sablière, Ville de Drancy, Préfecture).
C. S. Nous allons poursuivre notre engagement ! Je suis plein d’espoir, de projets. Les gens nous portent dans ce qu’on fait. Ce sont eux qui nous permettent de créer, d’aller où ils vivent, là où ils marchent ! On trouvera les moyens... « A l’école de la poésie, on se bat », chantait Léo Ferré. •
Photos : Alice Haggaï