Notre arrondissement compte deux bains-douches sur un total de dix-sept à Paris. Gratuits, accessibles à toutes et tous, ils sont ouverts presque tous les jours et offrent aux visiteurs vingt minutes d’eau chaude. Le 18e du mois y est allé faire sa toilette.
Les enseignes sur le boulevard Ney ou celle de la piscine des Amiraux ne diront sans doute rien ou très peu aux possesseurs de leur propre salle de bain. Souvent, il est facile de ne pas prendre conscience des choses, tant qu’elles ne nous concernent pas. Et il en va ainsi des bains-douches, mais aussi de la misère et du dénuement des personnes qui fréquentent ces lieux. Pourtant, en permettant à de très nombreuses personnes de prendre soin d’elles (environ un million de passages par an rien qu’à l’échelle parisienne), ces établissements assurent une fonction essentielle : rester propre et digne selon la formule autrefois consacrée par les mendiants des rames du métro.
De fait, l’environnement matériel du public des bains-douches est au final assez proche de celui des classes ouvrières d’il y a 100 ans pour qui ils ont été créés : logements trop petits pour offrir le confort du bain à tous ses résidents, qu’ils soient sans-papiers, sans domicile ou habitants de chambres de bonne.
Le dénuement matinal
L’atmosphère de ce samedi matin sur le boulevard Ney offre comme un concentré des difficultés que ces publics affrontent au quotidien. Dans la rue Flammarion adjacente, à 10 heures du matin, une distribution de boissons chaudes et de paniers repas est en cours. Certains font la queue pour un café avant de retourner le boire dans l’autre queue : celle qui mène aux douches.
Sur le boulevard, à même le sol, sur des bouches d’aération, deux sans domicile fixe se réveillent. Dans la file d’attente qui mène à l’entrée des bains-douches Ney, ouverts du mardi matin au dimanche matin, une dizaine d’hommes patientent. L’un porte trois sacs de toile, comme sa maison sur son dos tandis qu’un autre a rapiécé tant bien que mal son sac à dos très fatigué. À chaque personne sortie, une autre pénètre. Arrive alors un jeune couple de moins de 25 ans. Elle, l’air perdu, a les yeux dans le vague ; lui, tempes rasées et queue de cheval, tient à la main un sac plastique rempli de sandwichs triangles. Il s’adresse à quelqu’un dans la queue, lui en propose pour cinq euros. Puis le couple remonte toute la file et pénètre sans attendre une sortie. Ils sont vite rembarrés et sèchement éconduits par le personnel municipal qui reste cloîtré à l’intérieur. « Nous on fait passer les gens à l’intérieur, à vous de gérer vous-même la queue à l’extérieur », explique, sur un ton plutôt mal embouché, le grand costaud affublé d’un sweat-shirt aux couleurs municipales. Le ton est donné.
Un équipement collectif à repenser ?
Arrive enfin le moment d’entrer. On accède à une allée de carrelage blanc, flanquée d’une rangée d’une vingtaine de cabines de douche. À l’intérieur, le déshabilloir est mouillé par les éclaboussures, pas de miroir, le sol est sale. Au-dessus du pommeau de douche, une canalisation d’aération décrépie ne donne pas envie de s’éterniser, même avec un savon à la lavande bio. En sortant, un employé montre un tuyau d’arrosage, « pour nettoyer après votre passage ». Reste qu’on ressort propre et douché, et c’est bien là l’essentiel depuis la création de ces bains-douches municipaux.
En effet, le principe du service collectif s’est imposé à l’époque face aux installations très succinctes des logements de petite condition, associées à une forte promiscuité. Rappelons que jusqu’aux années 1950, un logement parisien sur deux n’avait pas de toilettes et seulement un sur cinq était équipé d’une baignoire. Avant que dans la décennie suivante, les grands programmes de construction élèvent le standard moyen des logements et généralisent la salle de bain privative. Les bains-douches voient alors leur fréquentation baisser et cantonnée au seul usage des populations laissées en marge du progrès matériel. Depuis quelques années, comme un baromètre social, on assiste à la remontée de la fréquentation.
On peut évidemment regretter que tant de gens ne puissent bénéficier de ce que l’on considère comme allant de soi en matière de conditions de vie. Le mal-logement est, hélas, une réalité bien connue. Et pourtant, on constate aussi que cette idée de mutualiser des services complexes comme l’acheminement et la gestion de l’eau chaude était à l’époque une solution puissante pour diminuer les coûts de la construction. Ne pourrait-elle pas le redevenir ?
Songeons que la salle de bain est avec la cuisine, la pièce la plus coûteuse du logement et qu’elle est également celle qui génère 90 % des sinistres (fuites, infiltrations, inondations). Les équipements collectifs pourraient-ils redevenir une réponse d’avenir face à la hausse des coûts du logement ? Pour cela, il faudrait accepter de rogner un peu sur le besoin d’intimité et de confort et que les locaux collectifs soient plus accueillants et propres afin qu’ils ne soient pas cantonnés aux seuls publics en relégation. D’autant que nombre d’entre eux sont de beaux ouvrages architecturaux, dont certains sont même classés, comme la piscine bains-douches des Amiraux. À méditer.
Photo : Maxime Renaudet