Journal d’informations locales

Le 18e du mois

janvier 2025 / Les Gens

Alain Marquet, au service du jazz

par Marie-Antoinette Leca

Clarinettiste et jazzman de renom, Alain Marquet est aussi un amoureux des disques, qu’il collectionne et classe minutieusement. Une passion pour la musique qu’il continue de partager sur scène mais aussi dans son musée.

Au 68 rue du Poteau, on distingue une vitrine contenant des objets peu communs : vieilles radios des années 60, tourne-disques, pochettes d’enregistrements de 33, 45 et 78 tours. Et en tout petit caractère, on peut lire : Jazz Museum, la maison du 78 tours. Inauguré en 2009, c’est le repère d’Alain Marquet, qu’il ouvre au public à partir de 11 h, presque chaque jour, sur rendez-vous. On vient là pour acheter des objets d’une autre époque qui résonnent encore dans nos cœurs et nos oreilles, pour découvrir des enregistrements de disques originaux, pour écouter de la chanson française en 78 tours ou même pour tenter de faire réparer une vieille radio à laquelle on tient.

Au mur sont affichées de jolies pochettes de disques de Brigitte Bardot, entre autres, qui n’a pas manqué de dédicacer les vinyles qu’Alain Marquet a trouvés sur le marché. « Je connais des gens qui s’occupent de sa fondation, elle est très courtoise avec moi et a connu des musiciens avec qui j’ai joué », raconte l’homme de 83 ans qui porte son âge avec bonhomie. Grand et mince, il émane de lui une impression de force tranquille. Peut-être parce qu’Alain Marquet est un artiste de haute qualité. Auteur et compositeur de jazz, ce clarinettiste reconnu a cumulé cent-vingt albums à son actif entre 1965 et 2005.

De Paris aux États-Unis

Né en 1942 à Eaubonne (Val d’Oise), il étudie le piano durant quelques années puis il passe à la clarinette. En 1958, il commence à jouer avec Irakli et les Louis Ambassadors pendant dix ans et collabore avec l’orchestre de Jean-Pierre Morel jusqu’en 1978. Entre-temps, l’Académie du jazz lui décerne le prix Sidney Bechet en 1973. À cette époque, les artistes avaient souvent une double casquette. « J’ai travaillé dans une entreprise électronique et en même temps j’ai suivi des cours de piano et de clarinette. C’était le lot de tous les débutants, explique-t-il. Si vous étiez bon, vous pouviez aisément rencontrer les plus grands qui vous embauchaient pour jouer avec eux ou faire partie de leur tournée. C’est comme cela que j’ai collaboré avec Claude Luter en France ou avec Sidney Bechet en Amérique. »

En 1983, Alain Marquet forme son propre groupe de jazz, le Paris Washboard, avec au piano Louis Mazetier, Daniel Barda au trombone. En fin percussioniste, Charles Prévost joue du washboard (planche à laver détournée de sa fonction originelle et adaptée au jeu musical frotté) et le trompettiste Michel Bonnet s’intègre à la troupe qui tourne pendant trente ans en Amérique et en Europe, reçoit de nombreux prix et joue dans des festivals reconnus notamment aux États-Unis. En 2025, de nouvelles tournées sont prévues en Pennsylvanie, dans le New Jersey, en Suisse et en Italie. Mais Alain Marquet ne délaisse pas Paris pour autant. Toujours actif, il joue au Petit Journal Saint-Michel avec son groupe le deuxième vendredi de chaque mois.

Au Jazz Museum, Alain Marquet reçoit des visites chaque jour de tous les continents, car il aime partager ses trouvailles avec des connaisseurs avisés. Faute de place chez lui, il a dû acheter le local rue du Poteau en 1979 pour ranger ses vinyles, puis deux parkings non loin pour stocker davantage de disques. Il habite depuis longtemps le quartier avec sa famille et s’y plaît. Il y a ses habitudes, notamment rue Championnet, où il prend souvent son café avec des amis et des musiciens. « C’est un homme sociable, attentif aux autres et très cultivé qui aime parler de musique en toute simplicité autour d’un café », abonde Dominique Samarcq, ancien patron des studios Sysmo Records rue Championnet, avec qui il a travaillé sur certains enregistrements.

Le roi du 78 tours

Notre artiste possède tous les originaux de Django Reinhardt et bien d’autres pépites. Comme les deux premiers morceaux de jazz de l’histoire, enregistrés le 26 février 1917 par l’Original Dixieland Jazz Band dans les studios du label Victor. Jean-Christophe Averty, qui produisait dans les années 60 une émission à succès, Les Cinglés du music-hall, lui a légué tous ses enregistrements, que notre musicien stocke, tous bien classés, dans ses locaux de la rue Championnet. Au total, il possède plus de 20 000 disques répertoriés dans ses archives, dont de nombreux 78 tours, le principal support de diffusion de musique enregistrée dans la première moitié du XXe siècle. Un format qui, à l’écoute, permet d’obtenir d’après lui une meilleure dynamique par rapport aux 33 tours, lesquels ne restituent pas toujours l’intégrité de l’original. « Depuis l’enfance, je suis un collectionneur de disques, toucher un disque Gennett ou Paramount me fascine, témoigne-t-il d’un air attendri. Malheureusement, la musique de jazz n’est pas assez diffusée à la radio de nos jours. »

Néanmoins, pour Alain Marquet, la nouvelle génération de musiciens étudie la musique très sérieusement. « Avec Internet, ils sont au courant de tout et synchronisent vite avec la réalité musicale, analyse-t-il. Par contre, maintenant, c’est plus difficile de rencontrer les artistes et de se faire un réseau. Le système a changé, il faut produire quarante concerts par an pour toucher des aides financières, sans promesse de se produire avec les grands et de se faire remarquer. J’ai eu la chance de travailler dans des superbes orchestres avec une excellente ambiance et des relations amicales entre les musiciens. » Alain Marquet a donc confiance dans la relève. Thomas Dutronc, par exemple, est venu à sa boutique pour écouter ses enregistrements et l’invite à ses concerts.

Récemment, il est tombé sur une photo de Boris Vian jouant avec sa sœur et Duke Ellington. Il va téléphoner à la sœur de l’ancien écrivain et jazzman pour lui transmettre le cliché, au cas où elle ne l’aurait pas encore dans ses archives. Voilà la marque d’Alain Marquet : partager ses trésors et transmettre son immense culture du jazz.

Photo : Thierry Nectoux

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