juillet-août 2014 / Culture
Au BAL, Lewis Baltz, le photographe urbain de l’après-guerre aux États-Unis
La belle exposition du Bal rend hommage au photographe américain Lewis Baltz, qui n’avait pas bénéficié d’une telle rétrospective en France depuis 1993. Il s’agit pourtant d’un artiste majeur, dont le regard singulier s’exerce depuis les années 1960 sur les transformations urbaines de l’Amérique de l’après-guerre, décrite comme une catastrophe que la photographie tente d’exorciser. Selon lui, « de la même façon que le paysage est détruit par le rouleau compresseur de l’urbanisation, les valeurs traditionnelles associées à la ville (donc civilisées) sont menacées ». Son travail documente ce triomphe paradoxal de l’urbanisation qui, devenant continu et uniforme, étendant par plaques sa lèpre de béton, ses décharges et ses échangeurs, détruit non seulement la nature, mais la ville même en tant qu’unité architecturale et espace de sociabilité. L’environnement que décrit Lewis Baltz est essentiellement hostile. Il le regarde de plain-pied, méticuleusement, rigoureusement, en voyageur solitaire – il n’y a pas âme qui vive dans ses clichés – et interrogateur, comme un revenant d’un temps ou d’un pays lointain qui chercherait le sens d’un objet abandonné ou simplement une direction à prendre aux abords incertains des villes. Un squelette de télévision criblé de balles, une enseigne « point reality » : « considéré comme un phénomène, n’importe quoi peut être intéressant, même Madonna ». Même ce visage de consommation banal pourrait être transformé, dans l’objectif de Lewis Baltz en objet singulier, « tactile », en poème d’une austère beauté. Parce que de ces détritus ou de ces no man’s lands, Lewis Baltz tire des images d’une très grande beauté.
Le parti de l’exposition, qui choisit d’aborder cette oeuvre sous l’angle d’une de ses sources d’inspiration majeure, le cinéma, est d’autant plus intéressant que Lewis Baltz n’est pas le photographe de l’instant et du mouvement. Au contraire, travaillant souvent à la chambre noire, il compose et construit méticuleusement l’image, comme un objet. L’artiste a participé à l’accrochage de ses oeuvres au Bal, aux côtés de Diane Dufour et de Dominique Païni. Il est composé de deux salles : l’une, noire, au rez-de-chaussée, introduit le visiteur dans la chambre noire du photographe, comme dans une salle de cinéma. Mais sur les murs courent des images que Baltz a extraites de ces caméras de vidéo-surveillance qui nous épient de partout sans nous voir. La deuxième salle, au sous-sol, est blanche. Elle présente les photographies par ensembles, formant des chaînes, un pavé, un archipel. Au milieu de la salle, une plaque en biais, relevée, comme l’anamorphose du crâne dans les Ambassadeurs d’Holbein, est l’écran sur lequel sont projetés des extraits des films en résonance avec l’oeuvre de l’artiste (Psychose, Désert Rouge, Zabriskie Point...). Lewis Baltz aime les murs. The Prototype works constitue un ensemble particulièrement beau : des murs de pavillons sans charme deviennent des tableaux abstraits, des compositions géométriques où les portes et les fenêtres ne semblent pas créer d’ouverture, où le crépi devient une matière picturale.
Rien d’un froid documentaire sur le désastre, donc, dans l’oeuvre de Lewis Baltz. On pense aux derniers mots des Villes invisibles d’Italo Calvino : « chercher et savoir reconnaître ce qui, au milieu de l’enfer, n’est pas de l’enfer, et le faire durer, lui faire place ».
* Le Bal, Lewis Baltz, Common objects, Hitchcock, Antonioni, Godard
Jusqu’au 24 août, 6, impasse de la Défense
Photo : © DR