Journal d’informations locales

Le 18e du mois

mars 2025 / La vie du 18e

VIVRE AUX ABBESSES ENTRE QUIÉTUDE ET RENTABILITÉ

par Béatrice Dunner, Dominique Boutel

Brocantes, vide-greniers, marchés de Noël, fête de la coquille ou autres manifestations s’installent régulièrement sur la place des Abbesses. Moments de rencontres entre voisins ou appel au tourisme ? Opérations commerciales ou animation de quartier ? Les avis sont partagés.

A proximité de l’église Saint-Jean de Montmartre et de la station de métro Abbesses, toutes deux classées et normalement imposant certaines règles, la place des Abbesses est occupée par quelque sept ou huit événements commerciaux chaque année. Ils engendrent des nuisances pour les riverains qui, pour beaucoup d’entre eux, vivent dans le quartier depuis longtemps, avant le choc immobilier : bruit jusque tard dans la soirée, odeurs, groupes électrogènes tournant à plein, déchets s’étalant à la ronde… Ces occupations suscitent un certain nombre de questions : pourquoi, pour qui, par qui sont organisés ces événements ? Au profit de qui ? À qui vont les fonds ainsi collectés ?

Des commerçants à l’unisson

Directeur de l’agence Immopolis, Brice Moyse est le quatrième président de l’association des commerçants Lepic-Abbesses (ACLA). Créée à la fin des années 70 par l’ancien charcutier de la rue Lepic, Michel Langlois, qui a fait scission et créé une autre association - laquelle finance notamment son journal, Montmartre à la Une – l’ACLA compte aujourd’hui quelque 180 membres, exclusivement des commerçants du quartier Lepic-Abbesses.

L’une de ses grandes « victoires » récentes a été l’ouverture du dimanche dans tout ce quartier, un combat qui a duré cinq ans et qui a « fait venir le ministre du Tourisme de l’époque ! ». Cette ouverture dominicale a été rendue possible, selon Brice Moyse, par la transformation des Abbesses en « quartier vert », à l’initiative de Sylvain Garel, (ancien élu écologiste du 18e) dans le cadre de l’opération Paris respire. « La végétalisation et l’élargissement des trottoirs ont permis l’installation de terrasses de cafés et restaurants, se félicite le président de l’ACLA, qui nous a reçues dans ses bureaux d’Immopolis. Ça a aussitôt amené de nouvelles enseignes, qui ont attiré un grand nombre de touristes ». À l’inverse, les prix du foncier ont explosé et les petits commerces de proximité ont progressivement disparu, même si selon Brice Moyse, « le petit commerce s’étiolait, et que Montmartre : c’est la vie, la fête, les lumières ! ».

Il affirme avoir été également le premier à suggérer à Anne Hidalgo la possibilité de créer des terrasses éphémères sur les places de stationnement au sortir du Covid tout en reconnaissant certains abus malgré les règlements et les contraventions. Si c’est le cas, cela ne semble pas gêner les intéressés.

Quid des habitants ?

L’ACLA organise trois manifestations par an sur la place des Abbesses : le marché de Noël et deux brocantes. Les fonds récoltés servent à financer les illuminations de Noël, dont le coût, nous dit Brice Moyse, se monte à 50 000 €. La Mairie aide via une subvention de 10 000 €. Les deux autres brocantes et la fête de la coquille Saint-Jacques sont organisées par Michel Langlois, et celle de l’aligot par le Cercle aveyronnais de Montmartre.

Concernant le projet de classement de Montmartre au patrimoine mondial de l’Unesco, Brice Moyse y est favorable, lui-même faisant partie de l’une des commissions préparatoires. En revanche, il se dit préoccupé par le projet de piétonisation de la Butte (voir notre article page 13) : « Ce n’est pas une piétonisation, c’est une interdiction de circulation. Je ne comprends pas cette obsession du transit sur les hauteurs de la Butte, il n’y a aucun problème de circulation automobile à Montmartre ! Cela va être un chaos épouvantable. »

Le vivre-ensemble n’est pas simple sur la Butte Montmartre, entre le souhait des Montmartrois de voir leur quartier rester habitable et ceux qui y voient une source de rentabilité, ce qui n’est pas, à leurs yeux, incompatible avec le bien vivre.

Brice Moyse est, selon ses dires, un amoureux du quartier, mais pour lui, Montmartre, c’est la fête : « C’est de l’animation de quartier, les gens aiment beaucoup ça ! ».

Il n’a pas tort, le surtourisme en constante expansion le prouve. Mais quid des habitants, qui aimeraient pouvoir y vivre leur quotidien, sans être écrasés, au propre et au figuré, par le raz-de-marée des touristes ?

Dans le même numéro (mars 2025)

  • Au sommaire

    Notre numéro de mars est sorti

    Ce mois-ci, nous vous proposons un dossier sur l’accès à l’alimentation, notamment à travers l’action de Remix the commons qui a organisé quatre jours de visite, de rencontres et de réflexion à La Chapelle, avant de créer un jeu de cartes pour mieux manger. Ce numéro met aussi à l’honneur plusieurs femmes engagées, le travail d’Espoir 18 pour la laïcité et contre les discriminations, les problèmes de concertations citoyennes à Montmartre, sans oublier notre rencontre avec l’acteur Samuel Kircher et le chanteur Chaton.
  • Dossier : un jeu de cartes pour mieux manger

    Une maraîchère engagée à la Confédération paysanne

    A.K.
    Elle augmente de 100 % la représentation de la Confédération paysanne d’Ile-de-France à la Chambre d’agriculture !
  • Dossier : un jeu de cartes pour mieux manger

    IMAGINER LA SÉCURITÉ SOCIALE DE L’ALIMENTATION

    Annie Katz
    Six projets menés par des associations visent à améliorer l’accès à une alimentation durable et saine, proposer de nouvelles formes de gouvernance alimentaire et évaluer la précarité et l’insécurité. Deux exemples dans le 18e.
  • Dossier : un jeu de cartes pour mieux manger

    À la rencontre des initiatives alimentaires locales

    Sylvie Chatelin
    Avant de créer leur propre jeu et de pouvoir taper le carton avec, les participants ont visité plusieurs lieux à La Chapelle et au-delà. Le tout, suivant un parcours concocté par les organisateurs : Mathilde Rousselle du Shakirail, Camille Laurent et Frédéric Sultan de Remix the Commons (voir notre numéro 333). De Quartier libre (Goutte d’Or) à la Caverne (porte de La Chapelle) en passant par le Nouveau Ney, le restaurant d’Activ’18 (porte d’Aubervilliers), La Louve, le Jardin des Traverses, le réseau Vrac ou encore l’Amap de la Goutte d’Or, accompagnés d’habitants intéressés, ils ont ainsi exploré l'écosystème de l'alimentation.
  • La vie du 18e

    Espoir 18, six jeunes à l’Elysée

    Joachim Jarreau
    Cinq jeunes d’Espoir 18 ont été conviés à l’Elysée pour la remise du prix Ilan Halimi 2025. Une reconnaissance pour le travail de cette association d’éducation populaire sur les sujets de laïcité et de lutte contre les discriminations.
  • Le 18e vu par...

    SAMUEL KIRCHER, ACTEUR

    Danielle Fournier
    Chaque mois, une personnalité habitant ou ayant longtemps habité notre arrondissement raconte sa vie dans son quartier.
  • Culture

    Suzanne Valadon à Beaubourg

    Monique Loubeski
    L’exposition dédiée à la Montmartroise célèbre cette figure majeure de la peinture moderne.
  • Les Gens

    Chaton, comme à la maison

    Maxime Renaudet
    Lyonnais d’origine, Simon Cohen est né Chaton en 2018 dans son appartement du 18e arrondissement. Depuis, celui qui est devenu deux fois papa a sorti plus de 400 morceaux. Le voilà désormais plus que jamais de retour sur scène.

En kiosque

N° 338- juin 2025