Vous avez forcément croisé mestra Jô-Agnès dans le 18e, arc sur le dos - le berimbau - pantalon de capoeira - l’abadá - aux couleurs de son groupe, accompagnée d’une troupe d’enfants, d’adolescents et d’adultes. Celle que les habitants nomment « La dame de la capoeira » commence par une esquive. « Non je n’ai pas envie de parler de moi, avoue-t-elle. Je veux parler de l’association, de Capoeira Viola. » Quoi de plus naturel finalement pour une maître de capoeira ?
Nous tournerons donc autour de la capoeira, y reviendront toujours, puisque c’est elle qui fait ce qu’est Agnès Brocardi-Alvès aujourd’hui. Elle est au cœur de son être, de son action sociale et de sa transmission. Ce sera la seule façon d’esquisser le portrait de cette combattante, dont l’énergie communicative et les discours engagés ponctuent des cours qui font bien transpirer. « La capoeira, c’est exceptionnel, c’est un syncrétisme. C’est plus qu’un art martial, c’est une forme qui se transforme en art, explique-t-elle. Je me considère comme une “arthlète”, ou une “athliste”. Mon projet à l’origine, ce sont des rêves, des idées et des réalisations. »
Une flamme toujours intacte
À travers quelques rares confidences, on imagine aisément cette jeune fille, née en 1963, sensibilisée tôt à l’injustice et au militantisme. Un esprit de liberté des années 70, des études de sociologie à Nanterre et l’éveil à des expériences d’enseignement parallèle comme le lycée autogéré de Marly-le-Roy auront probablement forgé une conscience du collectif et de l’engagement sur le terrain. Qui va trouver écho dans les terres du Nordeste, lors d’un voyage initiatique.
C’est dans cette province du Brésil qu’elle va s’initier à la capoeira, fusionner ses idées par le corps et l’esprit, et probablement rencontrer son compagnon Meroh Alvès, artiste musicien de talent et complice de toujours. « Au Brésil, j’ai découvert la capoeira dans un contexte militant, se souvient-elle. C’est un outil social qui crée du lien car il accueille tout le monde et on n’a besoin de rien pour la pratiquer. Là-bas, j’ai trouvé une flamme qui ne s’est jamais éteinte. » En 1993, elle crée donc son association Capoeira Viola. Pourquoi dans le 18e ? « Parce que c’est là où le logement était le moins cher et c’est là où l’on trouve la mixité, le vivre-ensemble, la combativité et la tolérance. » La cohésion humaine issue de cet art martial déguisé en danse, son pouvoir sensoriel et originel, se retrouve donc en héritage au cœur de l’action éducative et culturelle de mestra Jô-Agnès.
Ainsi, Capoeira Viola ce sont des cours dans le 18e, mais aussi dans le 91, le 93, le 78, des spectacles de danse, des ateliers de chant, de musique ou d’acrobatie. Sans oublier des voyages organisés au Brésil et au Portugal et surtout l’existence d’une « capoeirathèque », un lieu unique de documentation qu’elle a développé rue Tchaïkovski. Si l’association n’échappe pas aux difficultés conjoncturelles du monde associatif, sa force ne faiblit pas. Elle continue d’imprimer un impact social sur la population locale. Elle a formé, accompagné et vu grandir des milliers de capoeiristes et dispensé autant de cours dans tous les gymnases et les écoles du 18e, de la porte de La Chapelle aux Abbesses en passant par Pajol et Marcadet. Mestra Jô-Agnès et son groupe de capoeiristes, c’est aussi une présence indéfectible aux fêtes de quartiers et aux festivals, dont le sien – Émergence capoeira – qui ambiancera fin juin les arènes de Montmartre. Combien de démonstrations de rue acrobatiques ont enthousiasmé le public, les passants et les touristes ? Quelle place, jardin ou square n’a pas eu droit à sa roda (le cercle où s’affrontent deux joueurs, entre danse et art martial) dirigée par la mestra au son de chants brésiliens ancestraux ?
À la place de l’autre
Comme tous les deux ans, un batizado (baptême en VF) se déroulera au gymnase Micheline Ostermeyer, avec une grande roda festive le 31 mai, où seront conviés d’autres capoeiristes amis venus du Brésil, du grand Paris et d’ailleurs. Ce sera une nouvelle occasion pour mestra Jô de nommer malicieusement ses jeunes élèves de leur nom de capoeiriste, de délivrer une première corde et de faire monter en grade les plus avancés, tous impatients de surprendre leur adversaire, d’éprouver et de partager leur style de jeu et leur progression.
Intrinsèquement et de façon beaucoup plus évidente pour les pratiquants, la capoeira diffuse sa spiritualité et ses origines afro-brésiliennes. « Le regard de la capoeira, c’est le regard de l’opprimé, c’est pouvoir se mettre à la place de l’autre », explique celle qui a publié en 2001 une thèse intitulée « Africanité et brasilianité de la capoeira : vers une pratique transversale ». Ainsi depuis des siècles, cet art martial mixe, dans l’échange et la confrontation avec un adversaire-partenaire, des valeurs de respect, d’inclusion, de solidarité avec la ruse et la malice, l’improvisation, la rébellion, la liberté et l’effort…
Mestra Jô-Agnès est investie de ce magma et ne cesse de porter et de transmettre ce message de tolérance en luttant contre le racisme. « Pour moi, Jô c’est la joie, la lutte, les couleurs, l’énergie, les clashs et la motivation, s’extasie Nathalie, une fidèle depuis 1995 devenue amie. Ma rencontre avec elle m’a amenée à découvrir le Brésil et à me reconvertir professionnellement en 1998. Je me suis engagée et épanouie en tant qu’éducatrice de rue durant neuf ans dans un quartier du 18e. » D‘autres encore, comme certaines seniors du cours de détente corporelle, disent qu’elles voient maintenant le 18e différemment, au point de s’y attacher à leur tour. Comme quoi, mestra Jô-Agnès et sa capoeira changent bien des regards, y compris sur notre arrondissement.

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