Ancienne élève de Marcel Marceau, la mime Florencia Avila habite le monde poétiquement et le quartier Simplon en particulier. Elle y partage son art du langage silencieux.
Elle vit tant d’aventures qu’il semble impossible d’en faire l’inventaire complet : mime, comédienne, directrice artistique de la compagnie Les Éléphants roses, elle écrit des spectacles, donne des conférences, met en scène, joue, produit, transmet l’art du silence. Elle danse, peint, voyage, co-dirige le festival Mimesis, fait partie de l’équipe qui administre le Collectif des arts du mime et du geste en France. Aussi volubile dans la vie que silencieuse sur scène, Florencia Avila raconte avec bonheur et drôlerie les épisodes les plus cocasses de sa vie d’artiste. « Sur le fleuve Amazone, un jour, j’étais embarquée avec des familles et des voyageurs peu fortunés sur un modeste bateau de marchandises. J’ai tendu un hamac au-dessus du public et donné un spectacle, raconte celle qui a aussi joué sous des aurores boréales en Norvège. C’est ce que permet le langage universel du mime. Alors que je jouais, j’ai vu passer des dauphins roses ! »
Venue d’Argentine, après une thèse en psychologie à l’université nationale de Córdoba, parmi de nombreuses expériences, elle passe trois années à l’École internationale du mimodrame de Paris où elle est l’élève de Marcel Marceau, mime de grande renommée. Prononcer le nom de celui qui l’inspire encore étoile son regard d’une infinie tendresse. Comme la plupart des mimes, elle a appris avec un maître et s’est appuyée sur cette transmission pour affirmer sa singularité. Elle est sans cesse en évolution et transmet à son tour cet art.
Le Théâtre Pixel comme deuxième maison
La voyageuse s’est posée dans le 18e arrondissement en 2004, attirée par la mixité sociale, la présence dans le quartier Simplon et ses environs de personnes qui mettent en œuvre ce qu’elle appelle « de la résistance culturelle ». Son logis-atelier est à proximité des structures avec lesquelles elle travaille. Parmi elles, le Théâtre Pixel, qu’elle considère comme sa deuxième maison.
Florencia se sent bien dans son environnement, collabore avec plusieurs associations locales et a même joué la Mère Noël pour les enfants du quartier. Que ce soit lors de ses tournées internationales comme dans ce petit théâtre de l’arrondissement, elle est en quête dans ses spectacles (une quarantaine à ce jour) de l’enchantement particulier au langage silencieux, à la fois singulier et universel, et inscrit dans la grande tradition du mime.
Chaque spectacle de Florencia Avila naît de l’écriture au plateau (de la recherche sur scène en solo ou à plusieurs) complétée par l’écriture sur table. Souvent, elle peint aux couleurs de ses rêves nocturnes une gouache très matinale qui symbolise et condense les idées de la narration qui suivra. Ainsi, par exemple, les gouaches de Voyage, de Rêverie ou d’Éléphants roses sont des traces de ces fructueux réveils et certaines ont reçu des prix prestigieux.
Une fois sur scène, elle souhaite que les spectateurs soient actifs et que les émotions touchent leur âme. Sa présence scénique et son langage gestuel permettent alors à chacun de se raconter son histoire, autant que de recevoir les intentions de l’artiste.
Mimer pour connaître
Le chemin des histoires sans paroles n’est pas le seul sur lequel marche Florencia, d’un pas souple et dansant. Elle pratique également l’art de la rencontre, dans la vie de tous les jours, avec un sourire et un rayonnement partageur qui ouvrent les cœurs. L’évoquer éclaire les visages de ceux qui la connaissent ou l’ont croisée. Un moment installée au café ou ailleurs, elle donne à chacun le sentiment d’être accueilli, prend le temps, s’intéresse vraiment, converse, les oreilles ouvertes et attentives. Lorsqu’elle s’envole pour retourner à ses nombreuses occupations, il reste dans son sillage un bonheur silencieux et apaisant. Brigitte Brisse, une élève de son cours, parle d’elle ainsi : « Elle sait partager son élan, son allant et avec Florencia, c’est bonjour à la vie. Je viens au cours depuis trois ans et je viens de loin ! » En cours comme en stage, sa bienveillance et son accompagnement aident à progresser, à développer confiance en soi et créativité. « Suivre régulièrement ses cours donne de l’aisance dans les mouvements, exerce à la précision, favorise la sensation d’être bien dans sa peau », résume son élève, laquelle apprécie aussi l’engagement personnel du professeur, en plus de la transmission du mime.
Depuis 2012, son projet « Mime au féminin » a amené Florencia à symboliser des archétypes féminins, à inventer les trente personnages qu’elle incarne dans son spectacle le plus récent : Les Larmes de Lucy. L’histoire de l’art, les contes de fées et la culture populaire en ont inspiré l’écriture. En 2008, elle travaillait déjà aux côtés de femmes en situation de précarité, avec l’association Cultures sur cour, toujours dans son quartier des Amiraux-Simplon. C’est avec elles que Florencia a commencé ce projet, nourri aussi pendant un temps par une résidence au centre FGO-Barbara.
La représentation, l’utilisation de l’image des femmes, la manipulation de leur apparence comme de leur être dans la société, dans les médias y sont questionnées. Liés à cette recherche, ses spectacles et ateliers (ouverts aux hommes) explorent la féminité en la réinventant et en proposant de s’affranchir des stéréotypes, des dictats.
Tous ceux qui ont croisé un jour la route de la délicieuse « Madame Flor », personnage haut en couleur, déambulant lors des fêtes de quartier ou ailleurs, savent qu’elle est un joyeux poème qui sème la légèreté à chaque pas, sans bruit et pourtant avec éloquence et élégance du geste. Sur scène comme dans la vie, elle vit un art d’être au monde, bien au-delà de celui des mots.
Photo : Jean-Claude N’Diaye