Chacun possède des richesses et des savoir-faire à partager. Les échanger renforce les solidarités naturelles et développe le pouvoir d’agir à travers des services mutuels.
« Accorde, accorde, accorderie, Du temps qu’on donne et qu’on reçoit aussi » Ce refrain, à chanter sur l’air de Accordéon de Serge Gainsbourg, écrit lors d’un atelier de chansons par des accordeurs, synthétise bien l’esprit qui irrigue la création de l’Accorderie : du temps, qui sert de monnaie d’échange !
Nées au Québec en 2002, implantées en France depuis 2011 et dans le 18e depuis 2013, les accorderies proposent un système d’échange de services entre membres, comptabilisés en temps. Tout fonctionne donc sans argent. Mais pas de hiérarchie entre les services rendus : une heure de piano ou de jardinage, vaut autant qu’une heure de ménage ou d’échange de recettes de cuisine, ce qui offre une place à chacun selon ses compétences, ses savoir-faire, ses goûts. Créée à Paris par la volonté de la Mairie, financée par la CAF, la Conférence des financeurs (des institutions engagées dans la prévention de la perte d’autonomie et l’aide à l’habitat inclusif) et aidée ponctuellement par Paris Habitat, l’Accorderie du 18e s’est installée en juillet dernier dans ses propres locaux. Les partenaires souhaitaient que l’association s’installe dans le quartier Blémont, classé quartier politique de la Ville, où résident dans les logements de la RIVP, de nombreuses personnes âgées. Et l’obligation de devenir autonome par rapport au réseau, en ayant un lieu propre et au moins un salarié, a précipité son installation.
Prendre conscience de son potentiel
En s’inscrivant pour devenir accordeur, on reçoit un capital de quinze heures, que l’on augmente en proposant ses services ou qui diminue si on fait appel aux compétences d’un autre accordeur. Lors de l’inscription, le postulant remplit une fiche assez complète où il énumère ses domaines de compétence. « Une inscription, c’est assez long, ce système est tellement nouveau qu’il faut aller gratter pour faire prendre conscience à chacun de son potentiel », explique Hélène Dompmartin, qui a découvert la structure lors d’un forum des associations et s’occupe de l’accueil. « Sur le principe, tout le monde est capable de rendre un service, mais ne s’en rend pas forcément compte », précise Philippe Clément, accordeur depuis 2020.
Lutter contre l’isolement
Une base de données, mise régulièrement à jour, détaille les offres et les demandes et comptabilise les capitaux temps de chacun. Débit, crédit, les termes sont ceux de la banque mais la monnaie est temporelle, symbolisée par les chèques-temps.
C’est au Petit Ney, où l’association a été longtemps hébergée, que Valérie Barki a découvert en 2013 l’Accorderie et sa philosophie : elle en est maintenant la co-directrice. « Nous sommes actuellement 144 accordeurs actifs, dont plus de 50 % sont des seniors. Mais nous n’avons toujours pas de salarié, se désole-t-elle. Et le travail administratif est lourd, il faut être rigoureux puisque c’est comme gérer de l’argent. Notre action s’inscrit dans l’économie circulaire et elle est traitée avec beaucoup de sérieux, pour éviter les conflits ». L’association est agréée espace de vie sociale : « Nous avons une vocation économique et sociale, d’aide aux personnes en difficulté quelle que soit leur origine : pour un grand nombre, il faut réveiller leur envie de donner d’eux ou sortir les personnes isolées de leur solitude en leur faisant prendre conscience qu’ils sont utiles, au même titre que les autres ».
L’Accorderie organise depuis sa création des fêtes de quartier avec un collectif d’associations et depuis qu’elle a un local, offre de nombreux ateliers comme l’accompagnement au numérique, un souhait de la Mairie. « Nous, on a besoin d’argent pour fonctionner et eux , ils ont besoin de nous pour être au plus près des usagers », conclut Valérie Barki.
Photo : Jean-Claude N’Diaye