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septembre 2020 / Mobilisation en tout genre

ACCeptess-T à l’épreuve de la crise

par Sandra Mignot

Acceptess-T milite pour les droits des personnes transgenres. Elle les accompagne aussi dans leur démarche de soins et d’accès au droit. Le confinement et la crise sanitaire auraient pu avoir raison de l’association, mais il se pourrait qu’ils aient au contraire renforcé la mobilisation et la combativité de l’équipe.

Dans le grand appartement du boulevard Barbès, Ravany prépare des médikits : un sac plastique contenant masques, préservatifs et gel hydro-alcoolique. Au plus fort de la crise sanitaire, des thermomètres et du doliprane y étaient ajoutés. « Nous avons adapté ces kits que nous distribuons habituellement lors de nos maraudes », explique cette médiatrice en santé. Dans une autre pièce, Claudia tente de débrouiller la demande de titre de séjour de Stella qui a déménagé de Montpellier à Paris… Chris pianote sur son ordinateur l’un des courriers administratifs qui lui servent à faire progresser les dossiers les plus complexes : dettes hospitalières, discriminations dans l’accès aux droits… Près de l’entrée, dans la salle d’attente, où officie Vanessa, des usagers de l’association patientent tranquillement avant leur rendez-vous, à bonne distance les uns des autres et soigneusement masqués. Ici, jusqu’à 50 personnes sont reçues par jour de permanence.

L’effervescence a repris ses droits dans les locaux d’Acceptess-T, association créée en 2010 pour défendre les droits des personnes transgenres. L’équipe prend en charge le dépistage du VIH/sida, l’accompagnement vers les soins de celles qui en ont besoin, l’aide administrative et sociale de leurs usagers généralement d’origine étrangère, sans-papiers, vivant de la prostitution et exposés aux infections sexuellement transmissibles. Ils offrent également un soutien psychologique. La plupart des salariés et bénévoles sont eux-mêmes des personnes transgenres.

Aux murs, des affichettes rappellent l’assassinat (en février dernier) de Jessyca, prostituée d’origine péruvienne, l’Existrans à venir ou…les gestes barrières. On parle surtout espagnol et portugais. Bénévoles et salariés sont tous polyglottes. C’est ainsi que Laszlo a débarqué de Toulouse, l’année dernière. En licence de portugais il était venu faire un stage de traduction. Puis ce militant de longue date de la prévention du VIH et du droit des personnes trans a été recruté comme coordinateur du pôle santé. « Je suis arrivé en plein confinement, explique-t-il. Je n’étais pas à Paris depuis une heure que déjà j’aidais à la distribution de colis alimentaires… »

Réduire la précarité

Car pour les usagers de l’association, ces deux mois ont d’abord rimé avec dénuement extrême. La prostitution était devenue quasiment impossible. Et certains de ceux qui perçoivent des allocations les ont vues suspendues faute de pouvoir renouveler leurs droits. « Officiellement les droits avaient été prolongés, mais bon, le robot de la CAF n’intègre pas forcément cela dans son fonctionnement et certains ont eu leur allocation adulte handicapé ou leur RSA suspendu »,
résume Giovanna Rincon, directrice d’Acceptess-T.

L’association a dû se montrer réactive. « Nous avons d’abord décidé d’utiliser nos financements pour l’aide alimentaire », explique Giovanna. « Même si cela paraissait suicidaire, parce que nos budgets sont très fléchés et que nous n’avons pas de marge de manœuvre. Mais il fallait absolument réduire l’impact de l’épidémie sur notre population déjà frappée par le VIH et très précaire. Quitte à prendre le risque que l’asso disparaisse. » En urgence, les fonds destinés à la prévention du VIH/sida, au loyer du local et aux rémunérations des dix salariés sont donc utilisés pour aider la communauté à survivre. « Sinon comment les filles auraient-elles mangé ? », interroge Giovanna. En parallèle bien sûr, l’association appelle à l’aide. « Notre argument était celui de la santé publique : sans argent nos usagères risquaient de continuer à s’exposer au risque de contracter et transmettre la covid via le travail du sexe. » La Banque alimentaire et la Fondation de France ont heureusement répondu présentes, permettant la distribution de quelque 1 300 colis alimentaires.

Empêcher les expulsions

Le logement est vite apparu comme un autre besoin majeur : en raison de l’impossibilité de payer son loyer mais aussi de la stigmatisation manifestée par le voisinage. « Quand il est interdit de sortir, ceux qui le font deviennent d’un coup très visibles, » souligne Giovanna. « Des personnes trans confinées chez des amis, ou simplement chez elles, se sont vues accusées de sortir trop souvent, de continuer à exercer la prostitution au risque de ramener le virus dans un habitat collectif. » L’association a enregistré une quarantaine de personnes expulsées. « J’ai même dû faire une médiation pour une femme qui était régulièrement hébergée dans un appartement en échange d’un peu de ménage. » Les voisins voulaient qu’elle quitte l’immeuble. Et Giovanna d’argumenter au téléphone, à l’oreille de la propriétaire alors entourée de voisins vociférants. « La personne concernée était enfermée dans sa chambre, les voisins avaient pénétré dans l’appartement et tentaient d’obtenir son expulsion ! » Cette situation s’est heureusement apaisée grâce à une propriétaire compréhensive.

Pour parer ces difficultés, l’association a activé son réseau. « Notre stratégie associative mise habituellement sur la visibilité communautaire, avec le confinement nous ne pouvions plus y recourir, explique Giovanna. Alors nous avons mis en place une stratégie de visibilité virtuelle via les réseaux sociaux, des plateformes communautaires. » Et ça marche. Des propriétaires qui étaient partis se confiner en province ont ainsi généreusement prêté leurs appartements. Des dons ont afflué pour permettre d’offrir des nuits d’hôtel.

Un fond d’urgence hébergement de quelque 158 000 € a même été créé avec la participation de la Ville de Paris, d’un laboratoire pharmaceutique, de Santé publique France, de la Fondation de France, de la Fondation Abbé Pierre… « Cet argent a permis de payer des loyers en retard, précise Giovanna. Nous avons pu aider 100 personnes. »

Lutter pour être visible

Côté santé et prévention, l’équipe a maintenu ses maraudes pendant le confinement afin de dispenser des conseils adaptés à la nouvelle menace, accompagner à l’hôpital les personnes qui en avaient besoin… Elle a découvert avec un certain effroi que de nombreuses personnes malades tentaient de dissimuler leur affection, de crainte d’être rejetées de leur coloc ou de la communauté. « Au moins 200 de nos usagères ont déclaré avoir eu de la fièvre, résume Giovanna. 20 personnes trans ont été hospitalisées, dont 3 en réa (et qui restent avec de graves séquelles). Deux personnes sont décédées à l’hôpital des conséquences de l’association de la covid et du VIH. »

Au cours des maraudes, les membres d’Acceptess-T ont également découvert, au cœur du Bois de Boulogne, des travailleuses du sexe qui non seulement travaillent là, mais y vivent, dans des cabanes ou des camionnettes, ayant immigré en France depuis dix, vingt, trente, quarante ans, toujours sans-papiers et dans la pauvreté la plus totale. Elles ont été installées à l’hôtel en attendant que la situation s’améliore. « Mais ces personnes que nous avons rencontrées pour la première fois ont besoin d’un accompagnement social, observe Giovanna. Cela nous encourage à construire une stratégie de lutte contre la pauvreté de notre communauté. Et tout ce qui s’est déroulé pendant ces derniers mois – notre file active a augmenté de 40 % – va nous servir pour étoffer encore notre plaidoyer. »

Car si l’association a pu se mobiliser autant, Giovanna en est certaine, c’est grâce au travail d’expression, de lutte et de visibilisation mené depuis les débuts de l’association par l’ensemble de ses adhérents. « Et c’est la preuve que lorsque les personnes concernées se mobilisent il peut y avoir des avancées. »

Acceptess-T (pour Actions concrètes conciliant éducation, prévention, travail, équité, santé et sport pour les transgenres), 39 boulevard Barbès,
01 42 29 23 67, www.acceptess-t.com

L’association a par ailleurs créé un fond d’action social trans (FAST) pour accompagner les personnes durant les périodes les plus dures de leur transition : https://www.helloasso.com/associations/acceptess-t/formulaires/2/

Photo : Dominique Dugay

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