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juin 2020 / La vie du 18e

Un retour à l’école qui questionne

par Dominique Boutel

La « rentrée » partielle, entamée la semaine du 11 mai à Paris, a suscité de nombreuses craintes et interroge la vocation de l’école publique. Etat des lieux dans deux écoles du 18e arrondissement.

Avant le 11 mai

Une dizaine de jours avant la date annoncée, branle-bas de combat sur les réseaux sociaux : les professeurs des écoles élémentaires et des maternelles échangent, essayant de comprendre comment va se faire cette réouverture, qui apparaît pour le moins complexe, pour ne pas dire ingérable. Mais la rentrée n’est pas vécue de la même façon partout.

A l’école Françoise Dorléac, sur la périphérie nord du 18e, les lundi 4 et mardi 5 mai, les visioconférences avec l’équipe se multiplient : la crainte est celle d’un protocole inapplicable, anxiogène. Ce ne sont pas les lieux, plutôt spacieux, qui posent problème, mais la déontologie : comment choisir les enfants « prioritaires », alors que presque tous le sont dans ces quartiers sensibles ? Outre ceux des soignants, du personnel éducatif, des policiers et autres fonctionnaires mobilisés, il y a aussi les enfants décrocheurs ou ceux dont les conditions de travail ne leur permettent pas de suivre le programme (absence d’ordinateur, logement exigu, parents non francophones, etc.) « Les conditions sont injustes, ce n’est pas républicain », affirme une enseignante.

Les professeurs s’organisent, une motion est votée contre la réouverture, soutenue par la majorité des syndicats. Mercredi 6 mai, le verdict tombe : la motion est abandonnée, le directeur a décidé d’ouvrir. Le choix n’est pas laissé aux enseignants d’être présents ou pas, la hiérarchie faisant pression. C’est un vrai dilemme pour certains : « J’habite en grande banlieue, je n’ai pas de voiture, poursuit l’enseignante, je suis mes 12 élèves de classe REP+ par téléphone tous les jours, certains sont également suivis par la psychologue scolaire et le maître spécialisé, cette rentrée est du théâtre. Pour moi, les gestes barrières, c’est du zéro, on est dans le contact avec nos élèves. » Et que dire des enfants en situation de handicap, suivis par un auxiliaire de vie scolaire (AVS) qui souvent est amené à les toucher ?

A l’école élémentaire Foyatier, Montmartre, les problèmes sont différents. La cour est une des plus petites de l’arrondissement et difficilement aménageable pour permettre le respect des distances. Il n’y a pas non plus de directeur en « présentiel » (il compte parmi les personnes « à risque »), ni de gardien, ni de professeurs de la Ville de Paris (travaillant habituellement dans plusieurs établissements, ils sont affectés dans leur école principale). Comme dans beaucoup d’autres écoles, les conditions de réouverture ne sont pas au rendez-vous : les personnels d’entretien, censés désinfecter les locaux, ne sont pas au complet, certains étant obligés de rester confinés du fait de leur santé ou de la grande distance travail-domicile. Il va certainement falloir recruter des agents en urgence. Pour l’instant, aucune formation aux gestes barrières n’est planifiée, pas de livraison de gants, ni de savon, ni de thermomètre « flash » (sans contact avec la peau), ni de serviettes jetables ou de sacs poubelle à usage spécifique.

Après le 11 mai

Après une journée de préparation pour vérifier que tout est en place, les enfants qui ont été choisis sont attendus le 12 mai. A Françoise Dorléac, la majorité de l’équipe est de retour, par roulement, deux jours par semaine. Une enseignante a préféré continuer à travailler à distance, elle dit avoir instauré un rapport de confiance avec les familles qui, dans leur grande majorité, avaient peur de lâcher leurs enfants, effrayés par les visières, les masques et cette fameuse désignation de « zone rouge ». « La créativité est au rendez-vous dans cette distance enrichie tout au long du confinement, affirme-t-elle. Nous avons inventé un nouveau lien à l’apprentissage, on se connaît mieux, les parents ont reconnu la qualité du travail personnalisé que nous avons dispensé. Et je continue de trouver inconcevable d’habituer les enfants, à l’école, à être dans l’individuel et pas dans le collectif, qui est le moteur de leur sociabilisation. »

A Foyatier, « la rentrée a été un peu chaude », confie l’un des enseignants venu à vélo depuis la banlieue nord parce qu’il hésitait à reprendre le métro. Il s’est porté volontaire pour le roulement, comme sept de ses collègues (sur les douze de l’équipe) qui gèrent donc une quarantaine d’élèves par semaine. Il confirme que les bidons de gel ont été fournis à temps mais aussi que les peintures pour le sol ne sont arrivées que le jour de l’ouverture, et que les enseignants ont dû bricoler avec les moyens du bord. Néanmoins, il trouve que les images, largement médiatisées, d’enfants confinés dans des carrés peints au sol sont exagérées : « On les laisse se déplacer librement, la plupart savent ce qu’ils doivent faire et sont contents d’être revenus ». Certains parents pourtant s’étonnent des critères de choix, considérant que ce ne sont pas nécessairement ceux qui sont là qui en ont le plus besoin. Il est vrai que la question des enfants les plus difficiles à gérer (handicaps physiques ou psychologiques) pose problème : comment les accompagner lorsqu’on ne peut pas les toucher ?

Philippe Darriulat, chargé des Affaires scolaires à la Mairie du 18e, indique que six des 67 écoles de l’arrondissement sont restées ouvertes pendant le confinement pour accueillir les enfants prioritaires, une petite centaine. En date du 24 mai, seulement trois écoles maternelles (Emile Duployé, Paul Abadie et Tchaïkovski) sont encore fermées. Entre 1 500 et 2 000 enfants sont donc actuellement accueillis dans les établissements (certains ont été regroupés pour faciliter l’accès).

Pour l’enseignant de Foyatier, cette réouverture s’est relativement bien passée, mais ce qui inquiète c’est la rentrée de septembre : le protocole est déjà difficilement applicable avec 10 % des élèves, comment sera-t-il gérable avec le retour de tous les enfants ? Cette réouverture va peut-être permettre d’imaginer des solutions, mais l’avenir est en point d’interrogation. •

Photo : Thierry Nectoux

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