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mars 2021 / La commune de Paris 150 ans après

Les femmes sur tous les fronts

par Philippe Darriulat

Soixante-douze jours. Soixante-douze jours seulement, du 18 mars au 28 mai 1871. C’est la période, à la fois si courte et si dense, pendant laquelle Paris connut un gouvernement insurrectionnel voulant assurer « l’intervention permanente des citoyens dans les affaires communales ». Cet article est le premier d’une série de trois consacrés à cet évènement historique que fut la Commune. Il s’intéresse aux nombreuses citoyennes souvent oubliées qui ont participé à cette lutte, parfois au péril de leur vie.

C’était exactement il y a cent cinquante ans. Nombreuses sont, cette année, les manifestations commémoratives célébrant cet événement exceptionnel qui, comme tout événement, comme toute page de l’histoire humaine, ne put avoir lieu que parce que des femmes et des hommes en furent les acteurs. Et il faut bien reconnaître que les premières, bien qu’elles aient été aussi présentes que les seconds, ont bien plus vite été oubliées. Cette marginalisation mémorielle peut s’expliquer de différentes façons. La première est sans doute la conséquence du fait que l’histoire et la mémoire ayant été longtemps œuvres masculines, elles ont eu tendance à minimiser la place occupée par des femmes. La seconde relève probablement d’une réalité plus prosaïque : la participation féminine à la Commune dut se faire en dehors de la structure gouvernementale officielle, à laquelle ne participaient que des hommes. Pour agir, pour se faire entendre, elles durent utiliser d’autres moyens que seule peut faire revivre une histoire « au ras du sol », qui a mis longtemps avant de s’imposer.

Porteuses de revendications spécifiques

Cette absence de mixité, dans les organismes représentatifs de la Commune de Paris, a d’ailleurs eu des conséquences sur les décisions de ce gouvernement révolutionnaire qui ne proposa jamais d’accorder le droit de vote aux femmes, alors qu’il sut être si audacieux dans les domaines social et politique : séparation de l’Église et de l’État, reconnaissance de formes de démocratie directe, citoyenneté pour les étrangers, laïcisation de l’enseignement, principe de l’école gratuite et obligatoire, réquisition des ateliers abandonnés, suppression des armées permanentes, interdiction du travail de nuit, réquisition des logements vacants, etc. Ce droit de vote, les Communardes ne le demandèrent d’ailleurs pas, pas plus qu’elles ne revendiquèrent de pouvoir participer au gouvernement.

Depuis le 19 juillet 1870, date de la déclaration de guerre franco-prussienne, la prise de parole des femmes s’était pourtant considérablement renforcée. Pendant le long et glacial hiver où Paris fut assiégé par l’armée prussienne, c’étaient elles qui, tous les matins, bravant le froid et la fatigue, constituaient de longues files devant des boutiques aux étals vides, afin d’essayer d’obtenir une maigre pitance. On parlait certainement beaucoup dans ces queues : de la volonté patriotique de résister à l’invasion, de la faim, du froid, des bourgeois de Paris qui avaient fui les rigueurs du siège, des besoins d’une population affamée et abandonnée. Il n’est donc pas étonnant que ces femmes aient voulu être actrices des événements auxquels elles participaient : elles constituèrent des sociétés de secours et d’ambulancières, organisèrent des repas pour les enfants, formèrent un atelier de 600 ouvrières, participèrent aux nombreux clubs dont certains étaient exclusivement féminins et créèrent l’Union des femmes pour la défense de Paris et le soin des blessés. Le 18 mars 1871, lorsque les soldats du général Vinoy gravirent les contreforts de la butte Montmartre pour récupérer des canons achetés par des contributions patriotiques et populaires, elles furent sans doute majoritaires dans la foule qui s’opposa à cette intervention, fraternisa avec la troupe et, le soir même, rue des Rosiers (actuelle rue du Chevalier de la Barre), fit fusiller les généraux Clément-Thomas et Lecomte.

Les voix de ces femmes furent porteuses de revendications spécifiques : elles demandaient la création de crèches, prônaient le droit au divorce, la reconnaissance de l’union libre, l’égalité sociale au sein du mariage, obtinrent la fermeture des « maisons de tolérance » et l’interdiction de la prostitution sur la voie publique, exigèrent qu’à travail égal leur salaire fût égal à celui des hommes, etc. Certaines demandèrent également le droit de pouvoir participer aux combats : le 13 mai 1871 une centaine d’entre elles se rendit ainsi à l’Hôtel de Ville pour réclamer des armes.

Portraits de Communardes combattantes

Essayons d’en retrouver la trace, dans notre 18e arrondissement où tout a commencé ce 18 mars 1871. Il faut se rappeler de Marguerite Boivin, une couturière de 37 ans, blessée le 18 mars sur la Butte alors qu’elle s’opposait à l’arrivée des soldats du général Vinoy. Marie Georget (épouse Voisin), âgée de 24 ans était, avec son mari, cantinière du 154e bataillon de la Garde nationale et fut l’initiatrice d’une pétition demandant la laïcisation du personnel des écoles. Arrêtée le 22 mai, rue Cortot, porteuse d’un « uniforme, d’un poignard et d’un révolver », elle fut détenue à Versailles, Clermont et Rouen, avant d’être acquittée en mars 1872. Anne Chéron, née Germain, une blanchisseuse de 36 ans, demeurait au 5 rue Myrha ; aidée d’Henriette Bouquin qui mourut en détention, elle préparait la tenue du club blanquiste de la Révolution qui se réunissait dans l’église Saint-Bernard. Arrêtée le 31 mai, elle fut déportée en Nouvelle-Calédonie, d’où elle ne revint qu’en 1879. Joséphine Poinbœuf, dite Alix, une fille soumise – prostituée inscrite officiellement sur les registres de police – de 30 ans, demeurant 25 rue de la Charbonnière, fut condamnée à quinze ans de travaux forcés pour avoir été « complice de l’arrestation d’un sergent de ville ». Il y eut aussi Marie Lavernoy, épouse May, une couturière de 31 ans, habitant 12 rue Doudeauville. Et Henriette Dellière, elle aussi couturière (elles étaient nombreuses à Paris et particulièrement dans le 18e), compagne du porte-drapeau du 257e bataillon. Celle-ci fut accusée d’avoir pillé des denrées à Neuilly pour les apporter à Paris. Ou encore Céleste Hardouin, qui ne joua pas un rôle de premier plan, mais « a été arrêtée le 7 juillet 1871 au milieu de ses élèves » puis incarcérée à Versailles et acquittée le 17 octobre. Elle a publié un livre, La Détenue de Versailles, en 1879, heureusement retrouvé et réédité par son arrière-petite-fille... elle aussi institutrice dans le 18e.

Les militantes du club rouge

Pour croiser ces femmes, le mieux était de se rendre au Château Rouge. Depuis 1847 une salle de bal y connaissait un certain succès. Pendant la Commune, il servait aux réunions du Comité de vigilance de Montmartre. Créé par Georges Clemenceau, maire du 18e, le 4 septembre 1870, le jour où Léon Gambetta proclamait la République, ce club joua un rôle déterminant dans la défense des canons de Montmartre. Il se divisait en un club masculin et un club féminin. Sa réputation de club rouge était bien établie. Louise Michel, dans ses Mémoires, en parlait en ces termes : « Le 18e arrondissement était la terreur des accapareurs et autres de cette espèce. Quand on disait : “Montmartre va descendre !” les réactionnaires se fourraient dans leurs trous, lâchant comme des bêtes poursuivies les caches où les vivres pourrissaient, tandis que Paris crevait de faim. »

À ce club féminin on pouvait croiser de nombreuses militantes, de belles figures qu’il convient de sortir de l’anonymat.

Tout d’abord, il y avait celle qui, avec ceinture rouge et cocarde, présidait les séances : Sophie Doctrinal, épouse Lemarchand dite Poirier, une couturière de 41 ans. Pendant le siège elle dirigeait un atelier qui occupait jusqu’à 80 ouvrières avec lesquelles elle partageait ses bénéfices. À la veille de la Commune, l’atelier dut fermer et devint ambulance (un poste médical temporaire). Très attentive à la défense des intérêts des femmes, Sophie Doctrinal fut condamnée, le 10 avril 1872, à la déportation dans une enceinte fortifiée. Elle mourut en détention, à la centrale d’Auberive, le 21 mai 1879. Elle était accompagnée de deux vice-présidentes, les « femmes » Tesson et Barois, cette dernière étant particulièrement active dans la lutte contre la prostitution.

Féministes, socialistes, journalistes...

La secrétaire du Comité nous est mieux connue : il s’agit d’Anna Jaclard, née Korvin-Krukovskaja. Cette Russe, blanquiste et militante de l’Internationale, avait alors 26 ans. Fille d’un général, descendante d’une vieille famille de l’aristocratie russo-lituanienne, elle avait bien connu Fiodor Dostoïevski qui avait publié une de ses nouvelles et l’avait même demandée en mariage en 1865. Bien qu’elle ait refusé cette proposition, elle conserva avec le célèbre écrivain des relations amicales et épistolaires. Ce fut à la même époque qu’elle quitta la Russie pour s’installer en France où elle rencontra son époux, un révolutionnaire avec lequel elle fut obligée de s’exiler à Genève. De retour à Paris, le 13 février 1871, elle participa à la Commune, notamment au sein du Comité de vigilance où elle fut, entre autres, déléguée aux hôpitaux et ambulances, s’occupant personnellement des blessés. Elle fut condamnée par contumace, le 29 décembre 1871, aux travaux forcés à perpétuité. Avec son mari elle réussit à s’enfuir en Suisse puis en Russie, et ne revint à Paris qu’en juin 1879, lorsqu’elle fut graciée. Marie-Adrienne Colleville dite Bontemps, une blanchisseuse de 45 ans, condamnée par contumace à la déportation, réussit à s’exiler à Londres. Lydie Rollat, épouse Larché, une chemisière demeurant 30 rue Doudeauville, fut condamnée le 23 mai 1872 à deux ans de prison et à cinq ans de surveillance. Adèle Esquiros, née Battanchon, une poétesse et journaliste de 51 ans, épouse d’un socialiste ayant eu une certaine célébrité, fut en 1848 une des fondatrices du Club des femmes que présidait Eugénie Niboyet. Nous la retrouvons en 1871, rédactrice du journal de Blanqui, La Patrie en danger. Il y eut aussi la « femme Collet » qui fut une des fondatrices de ce Comité de vigilance et la « femme Blondeau », une polisseuse en or qui représentait le 18e arrondissement à l’Union des femmes pour la défense de Paris. Marie Lemonnier, veuve Cartier, une apprêteuse de neuf de 37 ans, était employée aux ambulances et représentante du Comité de vigilance pour demander des écoles professionnelles et des orphelinats laïcs. Accusée d’avoir élevé une barricade à l’angle des rues Doudeauville et Stephenson, elle fut condamnée à un an de prison. Paule Mink, une journaliste, socialiste et féministe de 31 ans, d’origine polonaise, fut de toutes les luttes menées en solidarité avec cette nationalité en butte à l’oppression russe. Défenseuse, avec Maria Deraismes et André Léo, des droits politiques des femmes dans des conférences tenues au Tivoli-Vauxhall, elle était également membre de la Première Internationale. Très active dans des clubs des 6e et 20e arrondissements, elle avait ouvert une école à Saint-Pierre de Montmartre. Elle réussit à se réfugier en Suisse après la Semaine sanglante. La « femme Dauguet » combattante de la Commune fut déportée en Nouvelle-Calédonie. Et aussi Léodile Chamseix, née Béra, dite André Léo : grande figure du féminisme du XIXe siècle, romancière, elle se lança dans l’action politique dans les dernières années du Second Empire, notamment en participant à la rédaction du programme de la "Société de
revendication des droits de la femme
". Pendant la Commune elle créa, avec Anna Jaclard, le journal La Sociale, appartint à l’Union des femmes pour la défense de Paris et fut rédactrice du journal La Commune.

Une figure emblématique

Et puis, bien sûr, il y avait Louise Michel, la seule femme qui a réussi à échapper à la relative invisibilité posthume dans laquelle sont tombées la plupart de ses consœurs. Née le 29 mai 1830, fille naturelle d’un aristocrate libéral et d’une de ses domestiques, elle fut, avec sa mère, chassée de l’endroit où elle passa son enfance au lendemain du décès de son père supposé. Passionnée par l’enseignement, elle ouvrit d’abord, en Haute-Marne, une « école libre » où l’on pratiquait une pédagogie novatrice. Arrivée à Paris en 1855, elle fut institutrice dans le 10e arrondissement avant d’exercer dans le 18e, d’abord 5 rue des Cloÿs, où elle dirigeait un externat, puis 24 rue Oudot (et non Houdon comme on le lit souvent, la rue Oudot devint, en 1877, la rue Championnet) et enfin rue du Mont-Cenis. Elle fut bien évidemment de tous les combats. Présente le 18 mars pour défendre les canons de Montmartre, on la vit non seulement au Comité de vigilance, mais également au club de la Reine Blanche qui se réunissait dans une salle de bal du même nom, sur le site où fut ultérieurement construit le Moulin-Rouge, au club de la Boule Noire, situé 120 boulevard de Rochechouart et surtout au club de la Révolution de l’église Saint-Bernard, où elle retrouvait Théo Ferré et 3 000 femmes et hommes du quartier. Blessée sur la barricade élevée tout en haut de l’actuelle rue de Clignancourt, elle fut finalement arrêtée dans le cimetière Montmartre, condamnée à la déportation perpétuelle et envoyée en Nouvelle-Calédonie, d’où elle ne revint qu’en novembre 1880.

Nombre de ces femmes, et bien d’autres dont nous avons perdu la trace, se retrouvèrent, pendant la Semaine sanglante, à la limite du 18e et du 9e arrondissement, place Blanche, où se trouvait la seule barricade totalement défendue par des femmes combattantes. Au lendemain de la défaite de la Commune, de nombreuses voix masculines, mais aussi féminines, se firent entendre pour les discréditer et leur lancer les pires anathèmes, toujours empreints des préjugés dont les femmes étaient couramment affublées. D’autres voix, plus rares, osèrent saluer leur engagement. Retenons celle d’un jeune poète de 16 ans, lui aussi engagé dans la Commune de Paris : Arthur Rimbaud. C’est à ces femmes qu’il pensait lorsqu’il rédigea, en février 1872, Les Mains de Jeanne-Marie. Laissons-lui la parole pour conclure ce modeste témoignage de leur combat :

Elles ont pâli, merveilleuses,

Au grand soleil d’amour chargé,

Sur le bronze des mitrailleuses

À travers Paris insurgé !

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