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septembre 2021 / Les Gens

Hélène Tavera, les saveurs en partage

par Jean Cittone

Membre du collectif 4C, Hélène Tavera est une amoureuse de la bonne nourriture et de la Goutte d’Or. Pour cette habitante du quartier, engagement et alimentation vont irrémédiablement de pair.

La cuisine et Hélène Tavera, c’est une histoire qui ne date pas d’hier. Sa mère et sa grand-mère étaient de grandes cuisinières. Toute petite, elle observait avec attention la préparation des plats. Enfant, elle remplissait déjà des carnets de recettes. « J’ai été élevée dans une cuisine », confie cette Sarcelloise, installée depuis bientôt trente ans dans le quartier de la Goutte d’Or.

A Paris, Hélène a d’abord vécu dans le 12e, à partir de ses huit ans. Mais très rapidement, elle s’est familiarisée avec le 18e et la Goutte d’Or. Une partie de sa famille habitait à l’époque dans le quartier et, malgré leur départ, elle s’y est installée à son tour en 1994. Elle n’est jamais repartie depuis. Très vite, elle tombe amoureuse de cet espace parisien à la croisée des cultures et des traditions culinaires. Pour elle, aucun doute : « La Goutte d’Or, c’est le plus beau quartier du monde. » Elle sait déjà qu’elle n’en partira que les pieds devant, « c’est dire combien je l’aime ». Car ce quartier n’est pas aseptisé, « c’est la vraie vie ». Lieu d’entraide et de solidarité, les associations y travaillent main dans la main. Or l’engagement militant et associatif, Hélène connaît bien : par le passé elle s’est illustrée au côté de Droit au logement et a lutté contre les fermetures de classe dans le 18e. Logique qu’elle finisse par conjuguer son côté militant et le plaisir de la cuisine.

Engagée depuis toujours

Passionnée par l’idée du « bien manger, bien boire, bien fumer », Hélène Tavera a toujours travaillé autour de l’alimentation. Durant ses études de lettres et de journalisme, elle centre déjà ses lectures autour de cette thématique. Touche à tout, elle fréquente de grands cuisiniers, fait du journalisme culinaire et travaille dans plusieurs restaurants. On la retrouve également à l’Institut des cultures d’islam, où elle anime des ateliers cuisine. En 2002, elle fonde l’association Mea Gusta, « pour qui l’acte de manger n’est pas anodin ». Elle proposait alors des expériences sensorielles, reposant à la fois sur la convivialité et sur l’éducation au goût.

Aujourd’hui, c’est la dimension sociale de la cuisine qui l’intéresse le plus. Elle cherche à « comprendre tous les enjeux autour de l’acte de manger : le rapport à la fois anthropologique, sociologique et historique de l’alimentation ». Depuis 2019, Hélène est médiatrice de Quartier libre. Cette fois il s’agit d’un tiers-lieu dédié à l’alimentation au 9-11 rue de la Charbonnière. Cet espace unique en son genre, en plein cœur de la Goutte d’Or, est l’œuvre du 4C, initiales complémentaires de Collectif Café, Culture et Cuisine. À chaque question sur son engagement dans ce lieu, Hélène insiste sur le fait qu’il s’agit d’une œuvre collective. À l’origine du 4C, un groupe d’amis, veufs d’un lieu après la fermeture du café où ils avaient quartier libre.

La soupe aux cailloux

Avec le sourire, Hélène se remémore l’action qui a fait connaître le collectif dans le quartier : la soupe aux cailloux. Un conte populaire qu’on retrouve dans différents pays. Le principe est simple. On part avec presque rien, une marmite et un caillou. En chemin, on rencontre des amis, des inconnus. On se lie avec eux et on leur demande d’ajouter un ingrédient qu’ils ont sous la main, en échange d’un bol de soupe. De personne en personne, le caillou s’épaissit, la soupe prend forme. Finalement, on se retrouve avec « la meilleure des soupes du monde ». De ce conte, le 4C a fait une action concrète. Les bénévoles ont sillonné la Goutte d’Or avec leur triporteur, pour rencontrer les habitants et inventer cette soupe participative avec eux. Un légume apporté, un bol de soupe offert. L’esprit du 4C était né.

Après cette soupe aux cailloux, un grand ménage a lieu dans ce qui allait devenir les locaux du 4C et de Quartier libre, un local mis à disposition par Paris Habitat. « On a tout cassé, tout remodelé, et cette cuisine est sortie de terre. » Hélène est volubile quand elle raconte cette histoire. On sent que le lieu l’habite. Pensé par et pour les habitants, pour être un espace de rencontre, de cuisine, de partage et bien sûr d’alimentation, Quartier libre s’adresse à tous les publics, et vient répondre à l’exiguïté des appartements parisiens, car tout le monde n’a pas de four, rappelle la Sarcelloise. Cet endroit à la croisée des chemins se veut pour Hélène « un lieu de vie entre l’espace de travail et la maison, où l’on peut aussi apprendre des choses ».

Vers une meilleure alimentation

On y côtoie d’autres cultures – essentiel pour cette petite-fille d’une grand-mère malgache et d’un grand père corse –, on y découvre des saveurs, mais on n’est jamais jugé ou sermonné. Car les pratiques alimentaires sont ancrées en nous, et « c’est ce qu’il y a de plus difficile à changer », rappelle Hélène. C’est par le partage d’un moment convivial et la découverte de nouvelles saveurs que peut s’amorcer une transition vers une meilleure alimentation. Les aliments charrient également avec eux toute une histoire. En première ligne, le sucre. Par l’éducation nutritionnelle, Hélène souhaite « rendre visible tout ce qui est invisible », en mettant à jour les nombreux sucres dissimulés dans nos aliments.

Après avoir répondu à l’urgence pendant la crise sanitaire, ouvrant sa cuisine en continu et participant aux maraudes, Quartier libre retrouve peu à peu une vie normale et des projets sortent de terre. La cuisine peut désormais être louée. Elle reste évidemment gratuite pour les plus vulnérables. Des projets d’agriculture urbaine sont en maturation, avec comme idée de faire pousser, même en petite quantité, des aliments exotiques difficiles à trouver. « Peut-être qu’on va arriver à faire pousser du manioc ! » L’optimisme d’Hélène est revigorant. Pour commencer, des bacs aromatiques vont être bientôt installés dans la cour, au milieu d’un îlot bordé d’immeubles. Ce lieu ce n’est pas seulement l’œuvre d’Hélène Tavera, mais sans elle le 4C et la Goutte d’Or auraient certainement beaucoup moins de saveur.

Photo : Dominique Dugay

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