Ils étaient impatients qu’il ouvre à nouveau, les anciens habitués du bar Au Rêve ! Au point que pendant les travaux, il y en avait toujours un qui passait la tête en demandant : « Alors, ça avance ? » Et ils étaient là le 4 octobre, à côté des amis et des journalistes venus célébrer la réouverture d’un lieu mythique pour la mémoire qu’il évoque, celle d’un Paris littéraire, artistique et bohème.
En effet, en 2019, après une gestion désastreuse du propriétaire de l’époque, le bar est placé en liquidation judiciaire puis fermé pendant plusieurs années. Les amoureux du quartier se demandaient ce qu’allait devenir ce lieu qui, après avoir été une crèmerie à la fin du XIXe siècle, avait vu défiler au comptoir le temps et les stars, Jacques Brel, Patrick Modiano, Marcel Aymé, Claire Bretécher et bien d’autres (lire notre n°de janvier 202x) et avait survécu « dans son jus » aux transformations sociales du bas de la Butte.
Inscrire l’histoire dans le futur
C’était le cas d’Antoine, Clémentine et Corentin, fondateurs d’un studio de création qui conçoit des marques, des objets et des lieux. Mais surtout habitants du quartier, pour l’un d’entre eux à titre « historique » puisqu’un de ses ancêtres a construit une grande partie des immeubles haussmanniens de la rue Caulaincourt. Les trois complices rachètent les murs et le bail et se lancent dans une restauration respectueuse des lieux, selon l’esprit qui anime leur agence, inscrire le futur dans un passé. « Nous avons une sorte de responsabilité », explique avec enthousiasme Antoine Ricardou, qui n’hésite pas à mettre la main à la pâte malgré un agenda professionnel bien rempli par ailleurs. « Nous sommes dans une démarche conservatrice, nous tirons le fil d’une histoire en la connectant au présent, à l’opérationnel. Nous redonnons de la vie ».
Le décor le prouve : miroirs biseautés, vieux bar restauré, frigos modernisés, lampes et appliques nettoyées, rien de clinquant bien au contraire, l’idée d’avoir toujours été là. Et pour aller plus loin, on embauche Mathieu Renucci, ancien gérant qui se retrouve à nouveau derrière le bar pour accueillir les clients, pour la plupart des gens du voisinage, parents d’élèves venus boire leur café avant d’aller travailler, ouvriers des chantiers proches, étudiants, nostalgiques ou curieux.
D’ailleurs, tout le monde semble se connaître ou presque et certains anciens félicitent Antoine : « C’est super ce que t’as fait ! ». Maintenir une vie de quartier dans un endroit que le marché immobilier transforme à toute vitesse, c’est vital ! En plus, l’aménagement été validé par Eyliette Ségard, qui en fut la patronne pendant cinquante ans, à la suite de son père. Et ça, ça vaut toutes les critiques !
Un musée dans les toilettes
Au Rêve, c’est aussi un restaurant qui s’étend jusqu’à la salle du fond, repeinte d’un rouge chaud, sobrement éclairée et séparée en partie du reste du café par des closures (claustras ?) à l’ancienne. La carte reflète l’esprit des lieux, associant le passé au présent, où la gratinée à l’oignon côtoie le gravlax de saumon. Les prix restent raisonnables pour le quartier, avec des menus à 17 ou 21 €. Et surtout, il ne faudra pas oublier de passer aux toilettes, une question récurrente des anciens habitués qui s’inquiétaient de leur disparition : autrefois situées dans une petite cour, elles ont été modernisées et accueillent un « musée » mis en scène grâce à une copie de l’ancien taxiphone, des inscriptions au mur et des stickers d’époque que l’on découvre façon « voyeur » par une fenêtre vitrée. Un autre clin d’œil, amusé cette fois-ci, au passé !