Montmartroise depuis toujours, socialement engagée et culturellement investie, Alice Bséréni est l’une des âmes du quartier.
Qui ne l’a pas croisée dans le quartier qu’elle arpente depuis de nombreuses années avec amour, Montmartre… ? On ne la connait pas forcément personnellement, mais sa silhouette est devenue familière : des cheveux courts d’un bel orange, son chien qui court librement, mais jamais très loin, ses tenues colorées et sa familiarité avec tous, aussi bien les peintres de la Butte massés sur le petit muret de la rue Gabrielle, le temps d’une bière, que l’épicier ou les voisins. Et même si Alice Bséréni a abandonné depuis peu, pour ses soixante-dix ans, la belle couleur de sa chevelure pour un blanc plus raisonnable, même si on s’étonne de l’absence de son compagnon à quatre pattes, dont on apprend au fil de la conversation qu’il est « parti », on sait qu’elle demeure l’une des âmes du quartier. Elle anime des ateliers d’écriture sur la mémoire de Montmartre, elle soutient le festival lyrique des Arènes, y participe même en temps qu’historienne du quartier, et invite de jeunes musiciennes à venir jouer sur sa terrasse qui domine Paris, en dépit de la grognerie de ses voisins. Car Alice est et a toujours été une femme d’action.
Assistante sociale à l’université
Alice, cela vient de sa mère, native de la Charente-Maritime, montée à Paris pour élever ses trois enfants et qui choisit pour y vivre le 18e arrondissement où elle devient couturière… Bséréni, c’est le nom de la famille de son père, un Syrien trop vite parti, mais qui laisse en héritage à sa fille un tropisme pour le monde arabe.
Alice Bséréni a d’abord été assistante sociale dans une banlieue du nord de Paris, puis à l’université, particulièrement celle de Vincennes, où se pensent les utopies de l’après 68. Lorsque Vincennes ferme, elle se retrouve à l’université de Saint-Denis. Retour à la case départ, avec des années d’expériences en plus. Il en naitra un livre De Saint-Denis à Vincennes, la rançon des utopies, publié chez L’Harmattan début 2020. 68 marque Alice : elle y découvre le MLF, le militantisme qui ne la quittera pas et qui suivra le fil de l’histoire. Avec la cause des femmes, un éternel combat, elle s’engage très vite dans l’arrondissement avec le groupe écologiste.
L’ancienne élue verte Danielle Fournier l’a croisée pour la première fois il y a plus de vingt ans : « Le monde militant écolo était petit et les gens se connaissaient. » Elle se souvient plus particulièrement de l’engagement très fort d’Alice en faveur des Irakiens à propos desquels on ne connaissait pas grand-chose avant la guerre. Son intérêt pour les autres, pour ceux qui ont besoin de solidarité, cette écoute qui sera la sienne pendant trente ans au bureau du service social, elle la met en œuvre également au cours de voyages à but humanitaire en Palestine, puis en Irak. Elle témoigne à travers des articles de ce que vivent les gens et dont le monde ne parle pas (Chroniques de Bagdad, la guerre qui n’avoue pas son nom, et Irak, le complot du silence chez L’Harmattan).
Une plume féministe
Car Alice écrit, depuis toujours. Elle a à cœur de croiser les vies singulières avec les problématiques de notre monde contemporain. Elle décide cependant de peaufiner sa plume en participant aux premiers ateliers d’Elisabeth Bing, féministe engagée rencontrée en 68 et l’une des fondatrices dans les années 80 des premiers ateliers d’écriture. Puis à son tour, elle lance ses propres ateliers, dont le dernier concerne la mémoire de Montmartre. Nicole Desjardins, comédienne et metteuse en scène, elle-même habitante du 18e, y participe depuis le début : « Sur le plan humain, Alice est charismatique, enthousiaste, généreuse. Elle fait vraiment des retours pertinents, elle est à l’écoute. Elle vient avec des thèmes, très stimulants pour écrire, une fois un chemin virtuel dans Montmartre, une autre fois elle propose d’écrire à la façon d’Hemingway en choisissant un bistrot. Pendant le confinement, ce que l’on voyait depuis sa fenêtre… ». Les premiers rendez-vous ont lieu rue Androuet , dans les locaux de « Montmartre Addict », une association imaginée par Karine, inconditionnelle de culture, qui s’engage pour faire connaître le quartier et ses ressources. Pendant le confinement, l’écriture continue, virtuellement, puis dès le déconfinement, Alice invite toutes les plumes sur sa terrasse, face à Paris. On y écrit mais on y joue aussi de la musique, avec Valentina Gasparini, jeune violoniste habitant elle aussi l’arrondissement.
Décidément, Alice anime le « village » de sa jeunesse ! Après la rue des Trois Frères de son adolescence, elle s’est installée rue Garraud, puis rue Berthe pour se poser enfin rue Gabrielle il y a dix-huit ans. C’est dire si elle connaît son quartier et en possède la mémoire, une mémoire souvent nostalgique quand elle n’est pas en colère, comme elle le raconte dans certaines de ses chroniques : « Je me souviens des odeurs qui ont disparu, celles du poulet grillé, des marchandes des quatre saisons de la rue Lepic, du serrurier… Les boutiques de virtualité remplacent les magasins de proximité, le quartier se déshumanise. » Evidemment, elle y a croisé ceux qui ont fait à leur façon le cachet de ces rues : « Jean Marais, je le voyais à la boulangerie du coin. Je me souviens de Dalida remontant la rue Lepic aux bras de son compagnon, il y avait un mélange naturel des gens, avec simplicité. »
Toute une vie à Montmartre
Mais comme elle le dit, celui qui lui a « restitué son quartier », c’est Quodsi, un magnifique berger de Canaan, qu’elle a ramené de Jérusalem en 2001. Il lui a « appris à regarder le monde autrement ». Pendant dix-huit ans, leurs sorties quotidiennes lui ont fait connaitre en profondeur l’endroit où elle habitait, ses espaces secrets, ses recoins, ses habitants. Elles lui ont fait croiser les jardiniers de la Ville, lui ont permis de penser son engagement auprès des Verts. C’est ainsi qu’elle a participé à l’installation des ruches rue Gabrielle, à la végétalisation de la ville… Alice milite pour « un plaidoyer du chien en ville ».
Et militer n’est pas un mot vain pour Alice Bséréni, activiste dans l’âme. « C’est la personne engagée dans tout ce qu’elle fait, ajoute Danielle Fournier, pas seulement en politique, mais aussi dans la transmission, la création. Elle va toujours de l’avant. » L’ancienne élue raconte d’ailleurs à ce sujet une anecdote récente : « Je l’ai croisée à Montmartre pendant le confinement, elle faisait sa sortie autorisée quotidienne. Elle marchait avec ses deux bâtons avec une telle ardeur et une telle fougue que je n’ai pas osé l’arrêter pour la saluer ! » Une fougue qu’Alice met volontiers à présent au service de la culture : « C’est la culture qui va nous sauver »… Tel est le leitmotiv d’Alice, Alice dans sa ville, qu’elle traverse toujours avec cette passion vitale qui ne baisse pas la garde.
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Photo : Jean-Claude N’Diaye