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novembre 2020 / La vie du 18e

Aide à domicile : de l’attention au quotidien

par Noël Bouttier

Afin de pouvoir continuer à vivre à leur domicile, de nombreuses personnes âgées ont recours à une auxiliaire de vie. Reportage sur les pas d’Houria, avec Anne-Marie, Jacqueline et Jeannine.

On sort rincé d’une demi-journée à suivre Houria, auxiliaire de vie chez LogiVitae*, une jeune entreprise qui emploie une quinzaine d’aides à domicile dans le 18e. Et pas seulement parce que ce vendredi-là, la pluie fait des claquettes… La tournée de cette femme d’une quarantaine d’années est une leçon de professionnalisme et d’humanité.

A 9 h, on a d’abord rendez-vous rue des Cloÿs chez Anne-Marie. Cette dame de 76 ans vit depuis toute petite avec une scoliose sévère. Cela ne l’a pas empêchée de travailler comme secrétaire médicale. Mais, en 2017, la tuile : Anne-Marie tombe lourdement sur le dos. Et tout change pour elle. « Avant, raconte-t-elle, je me débrouillais toute seule. Je prenais le bus. » Mais ça, c’était avant. « L’hôpital où j’ai fait ma rééducation, m’a fait un dossier et j’ai été reconnue GIR 3**. » Ce qui permet à Anne-Marie de bénéficier d’une heure trente d’auxiliaire de vie par jour, avec un supplément d’une heure trente, un après-midi par semaine. L’occasion de sortir, quand le temps le permet. Anne-Marie n’a pas renoncé à descendre dans la rue et à passer au café du coin. Pour les courses, Houria s’en charge, en surveillant de près la nourriture du frigo pour déceler les aliments périmés.

Une réponse aussi à la solitude

La vie d’Anne-Marie est rythmée par les visites des professionnels. Le matin, avant Houria, une aide-soignante vient lui faire sa toilette et l’aider à s’habiller. Cela dure de quinze à vingt minutes, pas plus. Tout est minuté. Puis, l’aide ménagère qui passe deux fois par semaine, ensuite, la kiné. Et sans oublier, tous les jours, le livreur de repas de la ville… Houria, elle, est cette personne-pivot qui rend possible la vie quotidienne. C’est elle qui passe le plus de temps avec Anne-Marie. Car cette dame souffre aussi – outre ses problèmes de dos – de solitude. « J’aime beaucoup parler, confie-t-elle. Je me sens seule l’après-midi. Souvent Houria me remonte le moral. »

L’auxiliaire de vie raconte aussi en aparté comment elle a poussé Anne-Marie à renouer avec son frère qu’elle voit désormais plus souvent. La professionnelle peut ainsi jouer un rôle de facilitateur des liens familiaux, distendus, éloignés. La solitude des personnes âgées (ayant un ou deux contacts par semaine), que le confinement a mise en lumière, concerne dans notre pays plus d’un million de personnes.

Quittant le domicile d’Anne-Marie, il faut maintenant se rendre, sans traîner, chez Jacqueline, à quelques minutes à pieds de là. La dame vit en fauteuil. Quatre heures d’aide quotidienne lui ont été octroyées. Cette ancienne professeure de lettres âgée de 75 ans essaie d’être la plus autonome possible. Elle dispose d’un scooter électrique qui lui permet de continuer à visiter certains lieux culturels. Enfin, permettait : avec la Covid-19, tout est plus compliqué. Et pour assister à un spectacle le soir, il faudrait qu’au retour quelqu’un l’aide à grimper dans l’ascenseur. Pas si facile… Pour autant, Jacqueline n’a pas renoncé à une vie sociale. Des amis, son fils, des petits-fils viennent la voir. « Et je voyage autour de ma chambre », dit-elle joliment.

Donner le repas, couper les cheveux, faire les courses

La matinée d’Houria se poursuit dans un logement social rue Emile Blémont. Des trois patientes rencontrées ce matin, Jeannine est la plus âgée (87 ans) et la plus handicapée. Elle ne quitte plus son lit depuis sept ans. Elle aimerait bien sortir. « J’aimerais retourner voir les magasins. Et prendre un petit café dehors. » Il suffirait que Paris Habitat fasse quelques aménagements pour rendre son logement accessible à un fauteuil roulant (une lettre a été envoyée à Anne Hidalgo, restée sans réponse).

L’auxiliaire de vie passe deux heures avec Jeannine le midi et une heure le soir, notamment pour lui donner ses repas. Elle fait aussi bien d’autres choses : lui couper les cheveux, envoyer des photos à sa famille éloignée... Ancienne couturière (« je travaillais parfois 60 heures par semaine », raconte-t-elle), Jeannine se sent un peu seule. Sa fille n’est pas à Paris, ses amis sont décédés… Sa situation aurait pu justifier une entrée en Ehpad. « Mais ne m’en parlez pas », réagit-elle vivement. C’est chez elle que Jeannine veut finir sa vie. Houria sourit dans son coin. Elle est contente d’avoir amené un peu de vie à Jeannine coincée dans son lit. Un journaliste et un photographe pour elle seule, vous pensez… Ce métier, cela fait simplement quelques années qu’Houria l’exerce. Avant, elle a été comptable et ingénieure en marketing. Et puis, elle s’est occupée jusqu’à la fin de son père. Du matin au soir, elle se démène pour amener un peu de joie à des quotidiens qui en manquent. Quand elle est tombée malade mi-mars, elle a pensé à toutes ces personnes accompagnées. Elle était alors remplacée par d’autres auxiliaires… des inconnues derrière leur masque.

Le soir, quand elle rentre chez elle, Houria s’endort parfois sans avoir le courage de se faire à manger. Trop fatiguée. Et pour quel salaire ? « En septembre, j’ai gagné 1 500 €, grâce aux heures supplémentaires », note-t-elle. Voudrait-elle changer de métier ? Quand on a vu comment elle prenait soin d’Anne-Marie, de Jacqueline et de Jeanine, on n’a pas osé lui poser la question… •

* La directrice de ce service d’aide à domicile, Dafna Mouchnik, est également l’auteure de deux ouvrages : Derrière vos portes, coulisses d’un service à domicile (éd. Michalon) et Première ligne, journal d’un service d’aide à domicile pendant le confinement (éd. Fauve).

**Pour savoir si une personne âgée a le droit de bénéficier de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), le département établit, grâce à un document technique, son niveau de perte d’autonomie qui va du GIR 6 (très grande autonomie) au GIR 1 (très faible autonomie).

Photo : Thierry Nectoux

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