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décembre 2023 / Le dossier du mois

Une centaine d’enfants à la rue

par Maxime Renaudet

Alors que le nombre d’enfants sans domicile dans l’arrondissement ne cesse d’augmenter, poussant certains établissements scolaires à les héberger, le collectif Une École Un Toit a obtenu, avec l’aide des élus, la réquisition du lycée Suzanne Valadon.

Lundi 20 novembre, alors que la nuit tombe, une centaine de personnes sont réunies devant la mairie, à l’appel du collectif de parents et d’habitants du 18e, Une École Un Toit. En cette fin de Journée internationale des droits de l’enfant, des tentes ont été disposées au pied du kiosque de la place Jules Joffrin, ainsi qu’une ribambelle de banderoles et un petit barnum improvisé. Dessous, Sarah Vezzoli, membre du collectif, prend la parole. « Entre 60 et 78 enfants dormiraient à la rue dans notre arrondissement. Cette réalité, je l’ai apprise complètement par hasard il y a un an, au détour d’un conseil d’école, explique cette mère de famille et habitante du 18e. Jamais je n’aurais pu imaginer que mes enfants et vos enfants pouvaient grandir, apprendre, jouer avec des camarades de classe qui dorment dans des cartons, des bus de nuit, des urgences ou des gares, au regard de tout le monde. »

« À peine une famille quitte l’école, une autre arrive »

Une prise de parole qui donne le ton de ce rassemblement et qui est accentuée par celle de Laurent Ribon, directeur de l’école maternelle Richomme. « Comment rester de marbre devant un enfant qui hurle en arrivant à l’école car il n’a plus de domicile et qu’il veut retourner à l’hôtel, qu’il considère comme sa vraie maison ? Comment laisser une mère et un enfant de petite section ne pas pouvoir manger chaud, se laver, se reposer pleinement ? » Deux questions qui semblent adressées à l’État, dont l’hébergement d’urgence est la compétence. Alors, en attendant d’avoir des réponses concrètes et des solutions d’hébergement plus décentes, Laurent Ribon réclame à son tour la réquisition du lycée Suzanne Valadon, situé à 200 mètres de la place Jules Joffrin et fermé depuis juin dernier. Ça tombe bien, une demande a été adressée quelques jours plus tôt à la préfecture de région par le maire (PS) du 18e, Éric Lejoindre, et le premier adjoint à la maire de Paris (PS), Emmanuel Grégoire. Alors que la pluie a déjà pointé le bout de son nez et que l’hiver approche, le nombre d’enfants dormant à la rue dans l’arrondissement est alarmant, et ne cesse de croître depuis plusieurs mois. On dénombre au moins 37 familles et 74 enfants sans toit, un minimum de 150 élèves dans des situations de grande précarité de logement, et sept écoles occupées sur tout le territoire. Parmi elles, la maternelle Richomme, située à la Goutte d’Or. « Cette année, on a une maman et son fils qui se sont retrouvés à la rue au début de l’été, confie Laurent Ribon. Mais l’année dernière, on a déjà eu ce cas avec une maman et ses deux enfants. » Une situation désespérante pour lui, comme pour son collègue Maxime Tesnière, directeur de l’école élémentaire du même nom. « À peine une famille quitte l’école, une autre arrive, s’exaspère-t-il. On a eu la chance d’avoir une famille avec un bébé qui a enfin trouvé un logement, mais elle est bientôt remplacée par une autre famille qui va venir dormir dans notre école à partir de la semaine prochaine. »

Le cas de Richomme est hélas loin d’être isolé dans le 18e. Une École Un Toit aide actuellement une quarantaine de familles et presque le double d’enfants scolarisés dans l’arrondissement. Créé il y a un an sous la houlette de l’association Jamais sans toit, le collectif a pour objectif d’apporter une aide en matière d’hébergement, bien sûr, mais aussi matériellement, via des chaînes de solidarité entre parents et habitants, et administrativement. « Au-delà de l’hébergement, on est beaucoup en demande de temps pour aider les familles, dans leurs démarches administratives, nous expliquait Sarah Vezzoli en amont du rassemblement public place Jules Joffrin. Ça peut être : trouver une assistante sociale, aller au Centre d’action sociale de la Ville de Paris, s’occuper des tarifs de la cantine, faire les démarches Navigo ou amener les enfants à l’école. »

Dépassement de fonction et incurie étatique

De l’aide, le collectif Une École Un Toit en reçoit énormément de la part des parents d’élèves, des habitants, mais aussi des élus souligne Sarah Vezzoli. Parmi eux, Éric Lejoindre et Emmanuel Grégoire sont de la partie, tout comme le sénateur (PCF) Ian Brossat, et la sénatrice (PS) Colombe Brossel. Ils ont tous fait le déplacement pour apporter leur soutien au collectif et aux familles. Et pour réclamer une chose : que l’État assume ses responsabilités. « Je remercie le chef de la circonscription des affaires scolaires et de la petite enfance qui passe sa journée à donner des coups de téléphone pour trouver des matelas, des micro-ondes ou des clés, pour savoir quel gardien sera là ce week-end ou qui pourra faire le ménage le matin pour s’assurer que les enfants ne soient pas stigmatisés parce qu’ils dorment à l’école, explique Éric Lejoindre, micro à la main. C’est un travail exceptionnel et indispensable, mais un travail qui n’est pas le leur et qui ne doit pas l’être. » Même son de cloche pour les membres du collectif Une École Un toit et les directeurs d’établissement des écoles concernées, lesquels remplissent un rôle qui ne devrait pas leur être dévolu. « Ce n’est absolument pas normal qu’un collectif de citoyens, qui n’a strictement aucune compétence en matière de sans-abrisme, prenne le relais de l’incurie étatique », s’agace Sarah Vezzoli.

Pourtant, c’est bien ce qu’il se passe à Paris et dans le reste du pays où en octobre, près de 3 000 enfants ont dormi dans la rue selon l’Unicef, soit une hausse de 42 % par rapport au mois de septembre. Des chiffres hallucinants qui n’ont visiblement pas effrayé l’Assemblée nationale. Le 9 novembre, cette dernière a adopté l’ensemble du projet de loi de finances 2024, après recours à un énième 49.3, effaçant au passage les amendements qui visaient à créer entre 6 000 et 10 000 places d’hébergement d’urgence supplémentaires. Une grossière erreur quand on sait que le 115 est saturé.

À la place, les familles de l’arrondissement seront hébergées dans le lycée Suzanne Valadon. D’abord refusée par la région d’après un article de 20 Minutes, la réquisition de l’établissement a finalement été validée par Valérie Pécresse, à la suite d’un échange avec le député (REV) Aymeric Caron. La présidente de région aurait même accepté que deux autres lycées vides du nord de Paris soient consacrés à « accueillir la nuit et le plus vite possible, les familles à la rue ». Un moindre mal au regard de la situation actuelle.

Photo : Thierry Nectoux

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