Créateur de Vergers urbains, Sébastien Goelzer a choisi de faire entrer la nature dans la ville, oscillant entre les deux avec la volonté d’agir pour un environnement plus vivable.
Né en 1977 en Seine-Saint-Denis, il passe jusqu’à ses quatorze ans la semaine à Pierrefitte-sur-Seine et part chaque week-end aider ses parents à retaper une maison dans un petit village du Pas-de-Calais d’où une partie de sa famille est originaire. « Deux contextes complètement différents » résume-t-il, peut-être à l’origine de son parcours professionnel et personnel.
Lorsque ses parents s’installent pour de bon dans le Pas-de-Calais, il y poursuit son parcours scolaire et universitaire, collège à Arras et Faculté des sciences de la vie à Lille. Comme beaucoup d’enfants, le jeune Sébastien voulait être vétérinaire. Ce sera finalement une maîtrise environnement et développement du territoire. Mais il ne regrette rien : « Cela m’a initié à la géographie et à l’environnement et m’a donné envie d’intervenir sur le territoire et d’agir sur la ville ». Il enchaîne avec un DESS d’urbanisme et ressent l’envie de revenir à Paris parce qu’il « aime bien la ville, à la fois la nature et la ville mais pas la ville telle qu’elle est conçue ». Il reconnaît une « dimension politique à la ville, comme levier pour porter plein d’idées » et veut travailler à la reconnecter à la nature.
Le jeune urbaniste « voulait être dans le Nord-Est parisien, à proximité du bassin de La Villette et des gares ». Un vrai choix et un plaisir pour lui que d’habiter boulevard de La Chapelle depuis 2005, même s’il reconnaît « avoir mis du temps à vivre le quartier ». Il travaille d’abord en agence d’architecture. Il assouvit son envie de concevoir grâce à une mission de deux ans qui l’amène à faire des allers-retours avec la Guyane pour participer à la planification d’une ville, avant de partir pour une pause de six mois et voyager en Asie. Puis, au sein de l’agence AEI, où il est le seul urbaniste, Sébastien Goelzer « fait de la requalification portuaire et travaille sur des projets touchant à plusieurs dimensions, mer/terre, dans un domaine maritime un peu complexe ».
Début d’ancrage dans le quartier
En 2010, en plus de son job, il s’investit dans des projets associatifs pour « faire des choses en dehors du cadre habituel et les voir se réaliser » et surtout en concertation avec les habitants. Il se forme à la permaculture et découvre avec Agnès, une amie rencontrée en DESS, le jardin partagé Ecobox, « un lieu qui incarnait une part d’utopie » ainsi que le mouvement des villes en transition. Sébastien y rencontre différentes associations et collectifs. Autour d’une ruche qu’il avait récupérée et qui trouvera domicile un temps dans le jardin, il fait la connaissance de Véra. « Ensemble nous avons fait des greffes sauvages sur les cerisiers du Japon dans le square à l’entrée de l’impasse de La Chapelle [maintenant Jardin Nusch Eluard], rappelle celle qui est aujourd’hui une de ses collaboratrices. Une action pas du tout politiquement correcte à l’époque » mais qui annonce bien la suite de son engagement décrit dans son livre Cultiver la ville : l’agriculture urbaine pour rendre la ville comestible (lire notre n° 315).
C’est également chez Ecobox que démarre l’aventure de Vergers urbains en 2011. L’urbaniste en a l’idée et il la met en œuvre avec le collectif des permaculteurs d’Ile-de-France, certains adhérents d’Ecobox de l’époque, des gens des Jardins du Ruisseau et la coopérative L’Indépendante.
Vergers urbains c’est maintenant une quinzaine de salariés, dont Vera qui le surnomme « Chapeau à plumes » car pour elle, il est le patron. Jacky Libaud, co-président de l’association, souligne cependant que Sébastien « évite de se mettre en avant ». Un « patron » très secret, qui met « souvent devant le fait accompli parce qu’ il a tout dans la tête et oublie de communiquer », un « timide qui s’est un peu amélioré, plus à l’aise maintenant dans sa prise de parole en public ».
A l’actif de Vergers urbains : 300 projets en Ile-de-France et une forte implantation à La Chapelle auprès des Gens de Cottin, sur l’esplanade Nathalie Sarraute, au square Bashung avec la plantation d’arbres fruitiers et des projets en pieds d’immeubles avec les bailleurs sociaux.
L’aventurier taiseux
Un parcours impressionnant mais qui en dit peu sur la personnalité de l’homme. « Taiseux » est le mot qui vient spontanément aux personnes qui l’apprécient. « Pas un ours dans sa grotte mais pudique et secret », précise Véra. « Il aime beaucoup les rencontres et être en compagnie », tempère cependant Agnès.
Pour preuve, Sébastien Goelzer a beaucoup pratiqué le « couch surfing » et se liait facilement d’amitié avec les voyageurs qui dormaient sur son canapé. D’après Agnès il aurait même vécu une « belle histoire avec une Chilienne, aventurière comme lui, partageant la même vision du monde mais plus expansive et avec laquelle il est toujours en contact » car il est « fidèle en amitié ». Selon elle, « il porte un regard particulier sur le monde, il aime l’inconnu, l’imprévu, il sait très bien s’adapter, toujours trouver le bon côté des choses et des gens ».
Grand voyageur seul ou accompagné, même s’il se pose la question de son empreinte carbone, il aime trouver le centre névralgique des villes, les lieux d’agriculture urbaine, visiter les villes pionnières dans ce domaine, Détroit, Chicago ou New York. Son compte Flickr regorge de photos décalées sur les coins et recoins des villes où il est passé. Pour la deuxième fois l’été dernier, il est resté un mois et demi au Pérou où il a travaillé sur la perte du patrimoine agricole viticole et sur des expériences pour valoriser et préserver un arbre endémique des milieux désertiques, le huarango.
Vrai Parisien dont Agnès dit qu’« il adore le 18e et ne quittera jamais Paris », son goût pour la lecture de récits dystopiques et la science-fiction contredisent son engagement pour une ville en transition et ses actions concrètes pour un avenir plus vivable dans les grands centres urbains. Peut-être pour conjurer un futur effrayant si rien n’est fait rapidement pour changer de trajectoire.
Et nul doute que malgré son attachement à Vergers urbains « qui commence à vivre sa vie avec une gouvernance horizontale », cet « aventurier taiseux », qui a réussi « à se créer un job d’urbaniste à son image » comme le dit Agnès, trouvera de nouveaux projets pour faire entrer la nature dans la ville.
Photo : Jean-Claude N’Diaye