Sous son éternel bonnet de laine, l’œil bleu pétillant, le peintre Jean-Baptiste Sécheret, dont son galeriste dit de lui qu’il est un contemplatif, observe tout et voyage à travers ses toiles, sans quitter son cher 18e.
Quelle chance de franchir la grille de la cité Montmartre-aux-artistes au 189 rue Ordener, la plus grande cité d’artistes d’Europe ! C’est grâce au peintre Jean-Baptiste Sécheret, qui y est installé depuis 1987, que l’on découvre les lieux et pénètre, au détour des coursives, dans son atelier où se déploient de magnifiques paysages. C’est le hasard qui a conduit dans le 18e le jeune artiste, peintre et graveur, diplômé des Beaux-Arts et ancien résident de la Casa de Velázquez (l’équivalent à Madrid de la villa Médicis). À la recherche d’un atelier, Jean-Baptiste Sécheret fait sa demande à l’office des HLM qui gère le bâtiment, et un ami lui prête un atelier, en attendant. Finalement, en 1989, l’atelier du peintre japonais Takanori Oguiss se libère : sa veuve ne souhaite pas y vivre. Depuis, l’atelier d’Oguiss est plus ou moins resté en l’état, avec sa mezzanine, son escalier en bois, sa vieille cuisinière sur le point de rendre l’âme et son évier carré. « En fait, j’ai passé quinze ans de ma vie devant ce carré, à rincer mes pinceaux ou à laver des pommes de terre », sourit le peintre. Il faut dire qu’avant de s’installer dans un appartement à une rue de la cité des artistes, Jean-Baptiste a vécu dans ce même atelier avec sa famille.
Portraits accrochés aux murs, reproductions de tableaux de maîtres offerts par son professeur et voisin Pierre Faure, presse à gravure, tableaux grands formats rangés par taille, tables maculées de couleurs recouvertes de pots, de pinceaux, de pastels secs. L’espace est plein d’une effervescence artistique.
Peindre d’après nature
À 67 ans, Jean-Baptiste a donc vécu et travaillé la plus grande partie de sa vie dans cette partie de l’arrondissement, dans un rayon de 150 mètres. D’ailleurs, par la verrière, derrière le feuillage des arbres, sur le trajet de son appartement actuel à l’atelier, on aperçoit le restaurant Pradel, où il a ses habitudes depuis très longtemps. Une sorte de cantine où se retrouvent habitants du quartier et résidents de la cité des artistes. Le patron Coco le connaît bien, lui souhaite son anniversaire et dit de lui, lorsqu’on le lui demande, qu’il est fou : « Mais heureusement qu’il y a encore des fous comme lui. » S’il est très attaché au 18e, au point d’avoir fait partie de l’association qui a pétitionné pour le maintien du stade au bout de sa rue, l’arrondissement n’est pas vraiment son sujet, à la différence de nombreux artistes qui l’ont habité.
Outre les portraits et les natures mortes presque abstraites, Jean-Baptiste Sécheret a privilégié la peinture d’extérieur, « peindre d’après nature », s’intéressant aussi bien à la construction de la Tour de la Défense, qu’aux bords de mer à Trouville (sa région d’origine), à des hauts fourneaux ou aux gratte-ciel new-yorkais. « Je pense qu’il aime les choses fracassantes, comme les édifices qui accrochent la lumière », explique Mathilde Peskine, son épouse. Ce qui frappe dans l’œuvre récente de Jean-Baptiste Sécheret, c’est l’absence d’êtres humains. « Faux, rétorque Mathilde en riant. Il y a un motard de quelques millimètres sur le tableau du pont du Havre ! »
L’œil absolu
Toujours préoccupé par la matière, Jean-Baptiste Sécheret interroge ses maîtres, Courbet, Renoir ou Poussin. « Je continue à copier. J’ai une histoire étrange avec Diogène jetant son écuelle de mon cher Poussin, que j’ai commencé à copier à l’échelle originale en 1987 au Louvre. » Après de nombreuses péripéties, qui interrompent plusieurs fois son travail de copiste, l’artiste retourne au Louvre pour continuer d’interroger la toile par le pinceau : « On découvre l’intimité de quelqu’un, sa sensibilité, ses humeurs. On finit par comprendre, au point de trembler parfois devant l’indécence de la découverte. » Le pinceau révèle donc, patiemment. De quoi parle-t-on avec un peintre ? De peinture bien sûr, et pas seulement d’inspiration : on parle aussi technique.
Dès que le froid s’installe dans cet atelier un peu vétuste, Jean-Baptiste s’emballe, au sens propre : c’est-à-dire qu’il s’enveloppe dans un papier bulle, ce qui fait sourire son voisin, le peintre et graveur Christos Karamisaris, rencontré à la terrasse de chez Pradel. « On nous a offert de nouvelles verrières pour les ateliers et nous avons un peu moins froid, mais la teinte du verre est jaune », explique Jean-Baptiste tout en ouvrant et refermant une fenêtre pour en faire la démonstration. Quand ce désastre est arrivé, j’ai créé une association et fait signer tout le monde, mais on a perdu contre les HLM. » Quel est donc ce drame ? Jean-Baptiste Sécheret s’explique : « Peu d’artistes de la cité profitent de la verrière du nord, qui diffuse une lumière régulière. Les verrières du sud sont plus solaires, celles du nord, comme la mienne, ce sont des reflets : quand le ciel est bleu, la lumière est bleutée à l’intérieur de l’atelier ; quand la lumière est grise, c’est l’éclairage idéal, tout est blanc. Mais les nouveaux verres donnent l’impression d’une abbaye cistercienne. Quinze mètres carrés de jaune, qui donnent une lumière jaune : les couleurs ne sont pas pareilles. » Le peintre a l’œil absolu, comme un musicien peut avoir l’oreille absolue. D’après lui, cela vient de son père, imprimeur, qui lui a appris les distinctions même minimes de la couleur.
À l’approche de l’hiver, l’artiste sort peu de son studio : il a peint de nouvelles toiles pour le prestigieux FAB Paris 2024, qui s’est tenu au Grand Palais du 22 au 27 novembre, en particulier une vue de New York, ville qu’il observe de loin et de haut, dans des séries toutes différentes. « Refaire permet de mieux comprendre le sujet », dit-il. Une façon d’étudier toutes les variations de la lumière.
Photo : Thierry Nectoux