Journal d’informations locales

Le 18e du mois

septembre 2024 / Les Gens

Jammeur local

par Gibert Kallenborn

Arrivé en France il y a une dizaine d’années, Ameth Sissokho fait vivre dans la Goutte d’Or les traditions musicales de sa famille et de son pays d’origine, le Sénégal. Fils de griots, il attache aussi une importance particulière à la médiation sociale.

Pour rencontrer Ameth Sissokho, le mieux c’est d’aller un vendredi soir au bar musical Le 34, situé rue Léon à la Goutte d’Or. C’est là, en effet, qu’il anime chaque semaine la « Jam Locale », une soirée d’improvisation aux sonorités afro et groovy, ouverte à ceux qui chantent ou jouent d’un instrument. Avec son chapeau en biais et son gilet, un brin sapeur, Ameth se donne à fond face à un public enthousiaste et souvent tellement nombreux qu’on a du mal à se frayer un chemin vers la scène. Non seulement il encadre le déroulement de la soirée, mais il met également la main à la pâte en accompagnant certains morceaux de sa voix profonde ou avec sa guitare, et cela jusqu’à la fermeture du lieu, sans jamais perdre son sourire rayonnant et généreux.

Animation et médiation

En réalité, la « Jam Locale » au 34 n’est souvent que la deuxième partie de sa soirée du vendredi. La première, il la passe au Poulpe, une ressourcerie qui se trouve de l’autre côté de la rue et qui propose des concerts à l’heure de l’apéro. Là encore, c’est Ameth qui gère l’animation et la programmation artistique, depuis septembre 2020. « Au départ, j’avais postulé pour un emploi de menuisier, mais il était déjà pris. Puis, compte tenu de mon expérience musicale, le Poulpe m’a proposé ce rôle d’animation », nous explique-t-il.

Ça tombe bien, car la médiation sociale est un rôle qu’Ameth endosse avec plaisir. Issu d’une famille de griots musiciens, il a un sens aigu de la transmission, du partage et de la tradition. « Les griots chantent l’histoire et les coutumes de l’Empire mandingue, et c’est toujours très important pour moi aujourd’hui », souligne-t-il. L’Empire mandingue était un Etat africain médiéval fondé au XIIIe siècle qui connut son apogée sous le règne de Kankou Moussa (1312-1337). Il s’étendait sur des parties des actuels Mali, Sénégal, Gambie, Guinée, Guinée-Bissau, Burkina Faso, Côte d’Ivoire et Mauritanie.

Lui, Ameth a grandi au Sénégal jusqu’à l’âge de 22 ans. Il a été élevé par sa grand-mère, Mahawa Kouyaté, une chanteuse très connue dans le milieu de la musique traditionnelle mandingue. Par le passé, elle s’est produite de nombreuses fois avec son défunt mari Soundioulou Sissokho, un célèbre joueur de kora, instrument de musique à cordes d’Afrique de l’Ouest. Ensemble, ils étaient désignés comme « le couple royal de la musique mandingue ». Cette tradition musicale est perpétuée par les enfants et petits-enfants, et notamment Ameth.

L’Echomusée comme tremplin

Arrivé en France en 2013, celui-ci a rejoint ses parents, qui habitent la Goutte d’Or. Rapidement, il croise le chemin de Jean-Marc Bombeau, animateur et créateur de l’Echomusée, une galerie associative située au 21 rue Cavé. « Un jour il a débarqué avec une calebasse. Il voulait fabriquer une kalimba (un instrument de musique idiophone africain, NDLR) pour accompagner ses parents lors d’un concert, raconte Jean-Marc. On l’a réalisée ensemble dans l’atelier qu’on avait dans le sous-sol. C’est comme ça qu’on est devenus amis ».

Par la suite, Ameth transforme le sous-sol de l’Echomusée en salle de répétition en s’appuyant essentiellement sur des équipements de récupération. C’est là qu’il fonde son premier groupe, le Sora Yaa Band. Il s’entoure alors d’un bassiste (Karamba Kouyaté), d’un batteur (Karamo Dioubaté) et d’une accordéoniste (Lise Belperron). Ensemble, ils produisent un son original, fusionnant la musique mandingue, mbalax, afro-cubaine, jazz et blues. Le chant est en malinké, wolof, anglais ou français.

En contrepartie de cet accès à la cave, Ameth gère l’ambiance musicale de l’Echomusée, avec la programmation d’une soirée jam tous les mercredis. « Il est doté d’une personnalité très ouverte et très entraînante. Il est toujours prêt à rendre service. Sur le plan musical, il est à la fois auteur et compositeur. Et sa grande force c’est sa voix », poursuit Jean-Marc. Ce rendez-vous hebdomadaire a duré environ deux ans, jusqu’à ce que les plaintes d’un voisin y mettent fin. Ameth et ses amis se sont alors mis à la recherche d’un autre lieu. Ils ont joué à l’Omadis, un bar qui n’existe plus aujourd’hui. Ils ont aussi fait des tentatives au Lavoir moderne parisien, sans grand succès. C’est finalement au bar Le 34 qu’ils ont trouvé un nouveau port d’attache.

Respect des traditions

En parallèle Ameth a créé un second groupe, le Yakar Trio, toujours d’inspiration mandingue, mais avec des sonorités plus électro. Le groupe s’est produit en juillet dernier aux Ateliers Médicis de Clichy-sous-Bois. Le fils de griots a aussi réalisé deux albums, Meya en 2019 et Sora Yaa en 2022, et multiplie les collaborations artistiques en France et à l’étranger. En ce mois de septembre, Ameth participera aussi au festival solidaire des Arènes de Montmartre, organisé par l’association Strada Dell’Arte.

Mais toutes ces activités ne font pas oublier à Ameth ses racines. Il continue, par exemple, de remplir son rôle de griot dans les cérémonies de la communauté mandingue. « Quand il y a un décès, je vais m’occuper de la location d’une salle pour le recueillement et de la collecte des fonds pour renvoyer le corps au pays », nous explique-t-il. À la veille d’un concert important, il n’hésite pas non plus à consulter son marabout, qu’il connaît de longue date. « C’est le fils du marabout de mon père. C’est une fonction héréditaire, comme celle des griots », ajoute-t-il. Au quotidien, sa fonction de griot lui permet aussi de faire de la médiation entre les gens de sa communauté, pour résoudre certains problèmes.

Et que pense-t-il de la Goutte d’Or, où il vit depuis cinq ans ? « C’est un lieu vivant et particulièrement humain. On se croise et on se dit bonjour, même si l’on ne se connaît pas. Ici, les cultures sont comme différentes couleurs qui, en se mélangeant, donnent la couleur de l’or. »

Photo : Jean-Claude N’Diaye

Dans le même numéro (septembre 2024)

  • Au sommaire

    Le 18e du mois fait sa rentrée

    Halle Saint-Pierre : soutenir un joyau culturel. Cabarets disparus, voyage dans l'au-delà. Guillaume Huart recompose le passé de son immeuble. Handicap à l'école : des projets inclusifs. Léa Balage, premiers pas à l'Assemblée.
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    À la recherche du passé, Guillaume Huart plonge depuis quatre ans dans l’histoire de sa résidence de la rue Ramey. Il dresse les portraits plus ou moins fournis des habitants qui s’y sont succédé dans une minutieuse enquête.
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