septembre 2024 / Clignancourt - Jules Joffrin
Guillaume Huart recompose le passé de son immeuble
À la recherche du passé, Guillaume Huart plonge depuis quatre ans dans l’histoire de sa résidence de la rue Ramey. Il dresse les portraits plus ou moins fournis des habitants qui s’y sont succédé dans une minutieuse enquête.
« Ces gens je m’y attache, j’ai l’impression de les connaître. » Depuis quatre ans, Guillaume Huart, résident du 38 rue Ramey, a entrepris de minutieuses recherches pour établir la généalogie de la résidence où il vit. Un travail de fourmi qui occupe presque tout le temps libre de ce chef de produit marketing dans l’assurance vie.
« Pendant le confinement, jardinant avec les voisins, j’avais entendu que notre résidence aurait été autrefois une caserne, se remémore-t-il. J’ai voulu vérifier. » Nulle caserne dans le passé du 38 rue Ramey (autrefois baptisée chaussée de Clignancourt, à l’époque où la zone n’était encore qu’un hameau). Mais la curiosité réactive le virus de la généalogie qui sommeille chez Guillaume Huart – adolescent il avait établi celle de sa famille dans le sud de la Bourgogne. Il se plonge alors dans les archives des recensements parisiens et reconstitue l’historique des propriétaires et surtout locataires de ce lieu depuis 1870.
Parmi ses voisins d’outre temps, Guillaume Huart découvre nombre d’artistes (l’un des bâtiments du 38 comprend des ateliers) comme les peintres Georges Valmier, Claude-Marie Dubufe, Edouard Heuzé... Le dessinateur Léon-Victor Choubrac (l’un des premiers affichistes modernes) ou même Charles Gentil – l’instigateur du canular consistant à présenter au Salon des indépendants de 1910 une toile peinte par la queue d’un âne devant le Lapin agile – y vécurent. Le comédien Carlo Antonio Bertinazzi, dernier arlequin du théâtre italien de Paris y a longtemps résidé aussi, ainsi que le dessinateur humoristique Fernand Couderc. Et beaucoup d’autres.
Reconstituer des vies
Lorsque Guillaume Huart ouvre son logiciel de généalogie, c’est toute une galerie de portraits qui défile. « Même s’il me manque encore quelques photos » souligne-t-il. Chacun avec son nom, prénom, date de naissance et de décès, et une petite notice sur sa vie. « Sur chaque famille identifiée, célèbre ou non, j’essaye de trouver un maximum d’informations dans les archives, dans la presse. Certains descendants habitent même encore l’un des trente appartements du 38… » Et il lui arrive parfois d’entrer en contact avec les familles pour trouver un peu d’aide dans ses tentatives de reconstitutions.
« Les voisins adorent quand je leur raconte les petites histoires que j’ai dénichées, ce qui a pu se passer dans leur appartement ou chez un voisin, observe Guillaume. Dans la presse j’ai trouvé la trace d’un suicide, celle d’un homme qui assassina sa femme, mais pas dans la résidence. » Ou encore celle de l’arrière arrière-grand-père de Xavier Niel, milliardaire français fondateur de Free, le fournisseur d’accès à internet et opérateur de téléphonie mobile.
Le généalogiste amateur a été particulièrement touché de découvrir l’histoire d’une famille juive qui habita son propre appartement : « Le père, Chapse Gerenstein, musicien, travaillait à Evian lorsqu’il fut déporté avec son épouse. Leurs enfants ont été confiés à un prêtre qui les cacha dans la tristement célèbre colonie d’Izieu, où ils furent raflés sur dénonciation par la Gestapo en 1944. Seul à survivre à la déportation, Chapse est ensuite parti s’installer aux Etats-Unis, où il changea de nom et se spécialisa dans les musiques de film sous le pseudonyme d’Alexander Gerens. »
Quarante déportés
Guillaume s’est aussi penché sur les registres du Mémorial de la Shoah pour découvrir que quarante juifs de sa résidence ont été victimes de la politique de déportation vichyste. Seuls quatre sont revenus des camps. « Le dessinateur Gotlib a habité le 38 rue Ramey lorsqu’il était enfant, raconte-t-il. Mais il a eu la chance d’être caché, comme plusieurs familles du 38, par une voisine, Maria Jurcovich Svoboda. » Guillaume a d’ailleurs engagé un dossier de reconnaissance de cette courageuse Italienne « Juste parmi les Nations » dont l’examen est en cours auprès de Yad Vashem. Et pour préserver la mémoire de ces quarante victimes, il a créé une association (Mémoires du 38 rue Ramey) dont l’objectif est d’installer une sculpture dans le jardin de la résidence. Cet arbre de mémoire devrait prendre place à l’automne prochain.
De toutes ces informations, Guillaume Huart ambitionne de faire un livre. Pour l’instant, il anime un compte Instagram (@38rueramey). Et il participera le 15 décembre à une rencontre organisée par le Mémorial de la Shoah intitulée « Faire l’histoire de mon immeuble ». « De plus en plus de personnes sollicitent les archives pour faire des recherches sur les habitants qui les ont précédés, alors je vais essayer de présenter mes travaux et d’apporter quelques conseils. »
Pour autant, les recherches dans les entrailles historiques du 38 rue Ramey ne sont pas closes. « C’est comme une addiction », reconnait Guillaume Huart. Prochaine étape : se concentrer sur la période de la Commune. « J’ai déjà retrouvé les noms de deux habitants Communards », révèle-t-il. •
Photo : Jean-Claude N’Diaye