Journal d’informations locales

Le 18e du mois

septembre 2024 / Montmartre

HALLE SAINT-PIERRE : SOUTENIR UN JOYAU CULTUREL

par Béatrice Dunner

Alors qu’elle rayonne sur la région, le pays, et même l’étranger, la Halle Saint-Pierre connaît depuis cinq ans quelques remous, notamment d’ordre financier. Heureusement, elle se cramponne encore farouchement aux pentes de la Butte.

Elle a fait de tout dans sa longue vie : marché de quartier, école, gymnase et même garage municipal. Depuis 1986, la Halle Saint-Pierre est centre d’art et depuis 1995, le phare de l’art brut à Paris. C’était le pari de Martine Lusardy, sa directrice, dès son arrivée en 1994, avec la collaboration enthousiaste des deux libraires de la Halle, Pascal Hecker et Laurence Maidenbaum et celle de l’ensemble de l’équipe. Trente ans plus tard, quelque cent cinquante expositions ont fait découvrir à un très vaste public de grands artistes (jusque-là ignorés par la critique et les musées) et de grands thèmes qui inspirent cet art (les civilisations imaginaires, la forêt, les poupées, les médiums, les visionnaires). Sans compter toute l’activité culturelle qui se déploie en parallèle, à la librairie, à l’auditorium, à la cafétéria ou dans le hall d’entrée. « Nous avons voulu des espaces ouverts, décloisonnés, où les visiteurs circulent librement, explique-t-elle. Un public dont l’engouement ne se dément pas, une renommée désormais internationale et une indéniable capacité d’innovation ». Problème, comme nous l’évoquions il y a un an dans notre état des lieux de septembre 2023 (lire notre n° 318) : les avis de tempête restent fréquents, même si le navire tient toujours la mer.

« Ni élitisme, ni populisme »

Par sa nature de lieu culturel atypique voire unique en son genre, ce n’est pas un musée municipal puisqu’il ne possède pas de collection (il n’en a ni les moyens, ni l’espace), il échappe aux critères de l’administration. De ce fait ses orientations et ses choix ne sont pas toujours bien perçus. Différente, la Halle l’est aussi par l’état d’esprit qui l’anime, depuis ses débuts : selon sa directrice, cet espace s’est toujours refusé à cultiver un entre-soi négatif et délétère. Il s’agit bien plutôt de s’ouvrir à tous, d’offrir une idée émancipatrice de la culture, de mettre en avant les créateurs inaudibles et invisibles. Tout le contraire de ces expositions qui se veulent exhaustives et qui n’épuisent finalement que les forces et la capacité visuelle du visiteur, qui photographie en aveugle et se rue ensuite sur les produits dérivés de la boutique. Pascal Hecker le formule très bien par la devise : « Ni élitisme, ni populisme » lorsqu’il évoque la pertinence culturelle du lieu.

Au fil du temps, ces différences ont pu parfois susciter des tensions avec la Ville de Paris et sa direction aux affaires culturelles (DAC), notamment à propos des finances. La subvention que la Ville accorde à la Halle est en baisse constante. De 680 000 € il y a quinze ans, elle est passée à 380 000 € en 2023. Alors que tout coûte sans cesse plus cher, assurances, énergie, masse salariale, transports, charges sociales, etc. « Il est logique que la subvention ne représente que 30% environ du budget de la Halle, plaide pourtant Violaine Trajan, adjointe à la culture de la Mairie du 18e. Le reste doit venir de ses fonds propres, ainsi que du mécénat ».

Faire toujours plus, avec toujours moins

Si les recettes de la billetterie représentent une bonne part du budget du lieu, ce financement reste précaire, puisque la Halle doit payer une quinzaine d’employés, dont certains sont là depuis le début de l’aventure. Une équipe très soudée, polyvalente, passionnée, qui travaille souvent dans des conditions difficiles et qui doit aussi proposer au minimum deux grandes expositions par an, ainsi que de multiples animations culturelles. Autrement dit, en faire toujours plus, avec toujours moins.

De son côté, la Ville souhaiterait que la Halle monte davantage d’expositions mais aussi qu’elle soit plus ancrée dans le quartier et l’arrondissement, qu’elle propose animations et ateliers aux enfants ; que le conseil d’administration se féminise et s’ouvre à un ou deux représentants du quartier Montmartre ; qu’elle trouve de nouvelles sources de financement. Des souhaits légitimes, voire souhaitables, mais rien n’est facile à réaliser avec des moyens si limités. Il n’y a plus d’animateurs dans l’équipe : licenciés depuis longtemps pour cause de coupes budgétaires et les mécènes qui recherchent logiquement un maximum de visibilité, ne s’empressent pas autour de la Halle. On pourrait cependant envisager une subvention de la région Ile-de-France, d’où viennent de très nombreux visiteurs. Ou peut-être des expos en co-production avec d’autres centres ou musées d’art brut ?

Une nouvelle convention

Dernière source de tension et non la moindre : le bâtiment lui-même. Ancien marché de style Baltard, propriété de la Ville de Paris, il est fragile et exige un entretien régulier qu’il ne reçoit plus depuis les années 80. Sur ce point, Violaine Trajan n’a pu nous livrer de détails précis : pas de calendrier ni de plan pluriannuel de travaux, pas de budget arrêté, pas d’identification précise des chantiers à prévoir.

Aucune décision non plus concernant une éventuelle fermeture pour travaux (et le cas échéant, une activité hors les murs). Or les besoins sont urgents, les employés travaillent dans des conditions difficiles et parfois extrêmes, la grande verrière ne les protégeant ni de la chaleur ni du froid. Rien n’a changé depuis notre article de 2023 et l’urgence se fait pressante.

L’an prochain, la Halle doit signer une nouvelle convention avec la Ville. Espérons que les représentants de celle-ci seront bien conscients de la valeur unique de ce lieu fragile, dans un monde où la culture n’a que trop tendance à devenir un simple bien de consommation.

Photo : Jean-Claude N’Diaye

Dans le même numéro (septembre 2024)

  • Au sommaire

    Le 18e du mois fait sa rentrée

    Halle Saint-Pierre : soutenir un joyau culturel. Cabarets disparus, voyage dans l'au-delà. Guillaume Huart recompose le passé de son immeuble. Handicap à l'école : des projets inclusifs. Léa Balage, premiers pas à l'Assemblée.
  • La vie du 18e

    Handicap à l’école, des projets inclusifs

    Dominique Boutel
    Fin d’année emblématique de l’esprit qui règne à l’école Guadeloupe, classée REP : début juillet, dans le préau aménagé en salle de spectacle, les enfants qui forment le public viennent s’installer dans un brouhaha joyeux mais contenu.
  • La vie du 18e

    Léa Balage, premiers pas à l’Assemblée

    Danielle Fournier
    Adjointe au maire du 18e (1), Léa Balage El Mariky a été élue députée de la 3e circonscription lors des législatives anticipées de juillet sous la bannière du Nouveau Front Populaire. Elle a fait ses premiers pas à l'Assemblée nationale.
  • Clignancourt - Jules Joffrin

    Guillaume Huart recompose le passé de son immeuble

    Sandra Mignot
    À la recherche du passé, Guillaume Huart plonge depuis quatre ans dans l’histoire de sa résidence de la rue Ramey. Il dresse les portraits plus ou moins fournis des habitants qui s’y sont succédé dans une minutieuse enquête.
  • Histoire

    Cabarets disparus, voyages dans l’au-delà

    Béatrice Dunner
    Le quartier Montmartre a connu une période complètement folle, entre la fin du XIXe siècle et le milieu du XXe. Témoins de la fantaisie, de l’imagination et de la liberté de l’époque, trois cabarets invitaient les clients à pousser les portes de l’au-delà. Une provocation réprouvée qui attirera pourtant beaucoup de monde pendant plus de cinquante ans.
  • Les Gens

    Jammeur local

    Gibert Kallenborn
    Arrivé en France il y a une dizaine d’années, Ameth Sissokho fait vivre dans la Goutte d’Or les traditions musicales de sa famille et de son pays d’origine, le Sénégal. Fils de griots, il attache aussi une importance particulière à la médiation sociale.

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