L’atelier Lacourière
Mon père était ami avec Jean d’Esparbès, grand peintre de Montmartre avec Gen Paul. En 1953, quand j’ai manifesté le désir d’être peintre, il m’a proposé d’aller le voir. Il avait un atelier au 36 rue Saint-Vincent et quelques dépendances dans un grand jardin. Il a libéré un petit atelier de quatre mètres sur cinq dans lequel il n’y avait ni électricité, ni chauffage, ni eau : c’était vraiment une cabane de jardin. Là, j’ai côtoyé des écrivains et des poètes comme Marcel Aymé, Pierre Mac Orlan ou Roland Dorgelès.
À cette époque, à Montmartre, il y a avait encore beaucoup d’ateliers de peintres pas chers. Voilà pourquoi beaucoup d’artistes y sont venus. Le grand atelier de gravure connu mondialement par les artistes était celui de Roger Lacourière, en haut du funiculaire, rue Foyatier. Il y a encore une entrée en ogive mais il y a vingt ans, c’est devenu un restaurant. Les artistes venaient avec leur cuivre, leurs gravures et les tireurs, les presses étaient là. Picasso y a fait tirer toutes ses gravures et j’y ai vu Bernard Buffet, Tali Randall ou encore Zao Wou-Ki. Roger Lacourière n’était pas un créateur, mais un technicien extraordinaire. À l’époque, j’étais jeune graveur, je n’avais pas les presses que j’ai maintenant et chez Lacourière, j’étais vraiment l’enfant chéri. J’étais le seul artiste qui avait les clefs pour venir travailler la nuit si je voulais être tranquille, car dans la journée, c’était une ruche.
De bistrots en rencontres
Quand j’avais vingt ans, je vivais avec une chanteuse, Monique Morelli, qui était veuve et qui s’était spécialisée dans un répertoire un peu difficile, celui des poètes. Elle chantait Aragon, Carco, Bruant, Corbière et elle a fait un très beau disque sur Ronsard. Elle avait plutôt un public d’intellectuels. On s’est mis ensemble pendant quelques années. Là c’était Montmartre et sa vie de bohême, on ne se couchait pas avant quatre heures du matin. C’est là que j’ai connu Ferré, Brassens, Brel, qu’on allait voir à la sortie de leurs récitals et on picolait beaucoup. Mais pour travailler, ce n’était pas possible, il y avait toujours du monde et on se couchait tard, donc je suis parti en dehors de Paris et en 1975, on m’a proposé ce grand atelier rue Tourlaque.
À l’époque, il y avait deux bistrots célèbres à Montmartre : Chez Pomme, qui était à l’angle de la rue Lepic et de la rue Tholozé. Pomme était une ancienne comédienne et une femme généreuse qui avait ouvert un cabaret où j’y ai vu Piaf et Jacques Douai notamment. Il y avait aussi le cabaret Le Canari, dont le patron était un personnage emblématique que j’ai peint avec son chapeau haut de forme blanc. C’était aussi rue Tholozé. Ces deux cabarets étaient au centre de la vie montmartroise, avant celui de Patachou. Monique chantait le répertoire réaliste de la fin du 19e. Je lui ai dit un jour : « Est-ce que tu connais les Chansons pour accordéon de Mac Orlan ? ». Elle les a beaucoup appréciées et est allée voir Roger Mac Orlan. C’est elle qui me l’a présenté et nous sommes devenus très intimes. J’ai fait un livre avec lui, Les chansons de la vieille lanterne.
Quant à Prévert, je l’ai rencontré à l’occasion d’une exposition que j’ai faite sur des dessins de Paris des années 60. J’étais là et qui pousse la porte ? Prévert. Ça a été le début d’une grande amitié avec un homme et un poète merveilleux.
L’amour des rues montmartroises
Si je n’aimais pas Montmartre je n’y serais pas revenu. C’est un quartier merveilleux, unique. On ne se croirait pas à Paris car on y respire bien et ce n’est pas la vie de la grande ville. La rue Saint-Vincent, qui longe les vignes, la rue Cortot, l’avenue Junot… Les rues sont belles : j’ai maintenant une galerie pour les gravures rue des Trois frères, et quand j’y vais, je prends la rue Durantin et je m’arrête tout le temps pour regarder les maisons et les commerces. Je projette d’ailleurs un jour de faire une exposition sur ces 800 mètres parce que c’est merveilleux.
C’est vrai que ça a changé, j’ai connu l’époque où y vivaient des gens très pauvres, mais on y vivait bien. Les forains venaient sur l’esplanade du boulevard de Clichy, il y avait de tout, les lutteurs de foire, les tirs à la carabine, les boxeurs, des choses étonnantes comme des femmes presque nues dans des boîtes transparentes entourées de serpents.

Éole, un souffle nouveau ?
De l’art sur le gazon
Un rideau pour le dire… ou pas
Anne Lorient, sage-femme de rue
