Objet de rêveries, de flâneries et de conflits, les Jardins d’Éole ont beau avoir fêté leur majorité en mai dernier, leur occupation et leur accessibilité continuent d’alimenter les débats. Ces derniers sont récurrents depuis la fermeture du parc au public lors des problèmes liés au crack en 2021*. Pourtant, ces problèmes étaient au cœur du projet de Michel Corajoud, paysagiste et concepteur du parc, et des sociologues qui ont travaillé à l’époque avec le maître d’ouvrage.
En effet, la direction des parcs et jardins ayant pris conscience de l’ampleur des attentes des habitants et de l’intérêt de bénéficier de leur connaissance du quartier pour concevoir, aménager et gérer ce futur espace vert, la réalisation du parc a fait l’objet d’une maîtrise d’œuvre sociologique de 2003 à 2007. Pilotée d’abord par le sociologue urbain Isaac Joseph, décédé pendant le projet, puis par Yann Renaud et Stéphane Tonnelat, cette expérience sociologique « aux résultats mitigés » avait permis de recenser les préoccupations des habitants du quartier. Préoccupations auxquelles la création d’un parc pouvait en partie répondre même si ce projet cristallisait (déjà) des questions liées notamment aux problèmes socio-urbains du quartier (potentiel de création d’emplois, sur-occupation des espaces publics par les jeunes du quartier, réinstallation de la scène locale de la drogue dans le parc, etc.).
Ainsi, bien avant 2007, le projet révélait « les attentes des habitants quant aux possibilités pratiques d’accueillir les activités de quartier, sportives, culturelles ou festives et aux capacités d’initiative pouvant contribuer à apporter des réponses concrètes aux questions évoquées plus haut ». Mais dix-huit ans après la création de ce parc ouvert à tous, ces attentes ont-elles été réellement comblées ?
Les lunettes de l’utopie
Depuis quelques années, certains riverains ont la sensation qu’un vent de renouveau souffle sur le parc. C’était le cas de Jean-François Seguin, militant associatif de la LDH/Amnesty 18e et membre actif de l’association Les Jardins d’Éole. Décédé en février dernier, il nous avait adressé en mai 2022 un long texte dans lequel il retraversait « ce grand jardin en chaussant les lunettes de l’utopie qui avait guidé notre lutte, de la naissance de l’association Les Jardins d’Éole en 1997 à l’inauguration des dits jardins en 2007 ». Parmi les satisfactions de Jean-François Seguin : la présence de la buvette Jupiter gérée par des jeunes de l’APSAJ (une association de prévention), la distribution de petits déjeuners solidaires aux migrants ou l’occupation des lieux par les enfants, les sportifs et différentes communautés du quartier, notamment les Tibétains qui se retrouvent chaque dimanche pour pique-niquer et danser.
Autant de points positifs partagés par Bernard Kalaora, socio-anthropologue à la retraite et habitant du quartier depuis 33 ans. En début d’année, lui aussi nous a adressé spontanément un texte sur sa redécouverte des Jardins d’Éole : « Ma réconciliation avec le jardin est dûe précisément à l’appropriation par les usages. J’ai eu cet émerveillement de retrouver ce pourquoi était fait ce parc. » Mais, comme Jean-François Seguin, Bernard Kalaora pointe également du doigt un certains nombres de problèmes récurrents qui vont à l’encontre du projet initial.
« Une addiction à la clôture »
Si les Jardins Éole semblent avoir en partie retrouvé leur vocation d’origine, la question de leur occupation et de leur accessibilité reviennent régulièrement sur la table. En cause, d’abord, le fait que trois entrées du jardin (rue Riquet, rue du Département et angle Département/Aubervilliers)soient toujours fermées malgré une tentative récente d’en rouvrir une. « La mairie dit que c’est pour des questions de sécurité mais on en revient toujours à la même chose, comme si on ne pouvait pas trouver d’équilibre ou de compromis, s’exaspère Bernard Kalaora. Ça fait partie des choses qui vont à l’encontre du projet et de ce qu’est un espace public. Ça crée des problèmes pour la population dont la mobilité est restreinte, puis un parc doit être ouvert, surtout celui-ci. » Interrogé sur ce sujet, Gilles Ménède, adjoint au maire du 18e chargé des espaces verts, de la nature en ville et de la végétalisation de l’espace public, rétorque qu’ « il y a l’utopie, les idéalistes et la réalité du terrain ».
En parallèle, depuis 2021, une place de choix a été faite aux chiens (et leur propriétaire) avec la création d’un caniparc vivement critiqué par Bernard Kalaora et Jean-François Seguin, notamment parce qu’il est implanté en travers d’une des circulations imaginées par Michel Corajoud. « Certains disent que ce jardin dans le jardin a été placé là, afin, justement, de barrer cette circulation », écrivait Jean-François Seguin. Mais selon ce dernier, Éole souffre surtout de ce qu’il appelait une « addiction à la clôture ». En 2022, celui qui avait animé l’association Les Jeunes de La Chapelle constatait une « navrante prolifération de barrières, clôtures, grilles et grillages », lesquelles sont présentées « comme autant d’enclos alors qu’en réalité, ce sont des exclos c’est-à-dire des dispositifs qui visent à exclure certaines populations des bénéfices du jardin ». Depuis, les choses n’ont guère changé puisque la ferme urbaine, qui est en train de faire son retour, a fait installer une palissade qui restreint encore un peu plus la place des P’tits Déj’s solidaires.

De l’art sur le gazon
Henri Landier, artiste peintre
Un rideau pour le dire… ou pas
Anne Lorient, sage-femme de rue
