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janvier 2020 / Les Gens

Frédéric Bardeau : de la communication au numérique inclusif

par Sophie Roux

Il habite le 18e depuis vingt ans : Château rouge, Lamarck-Caulaincourt, rue Nicolet, rue d’Oran et maintenant rue Simplon. Le fondateur de l’école du numérique de Montreuil, Simplon.co, est un entrepreneur idéaliste et social !

C’est au bar La Piscine, derrière le bassin des Amiraux, où on le croise parfois, que Frédéric Bardeau nous a donné rendez-vous. Nous sommes face à un passionné. Il nous parle du premier jour où il a surfé sur le Net : « C’était le 3 septembre 1997. » Il a alors 23 ans, lit plus de 20 livres par mois et va succomber à une incroyable soif de connaissances, via le réseau des réseaux, le World Wide Web. Une plongée dans ce nouveau monde « sans fin ». Il y trouve ses mentors, au premier rang desquels Tim Berners-Lee, le principal fondateur du WWW, et surtout Fred Turner, l’auteur de l’ouvrage « Aux sources de l’utopie numérique. De la contre-culture à la cyberculture. » Il négocie auprès de l’agence de communication dans laquelle il travaille, DDB, « la possibilité de surfer toute la nuit »... Utopie concrète : « Être un pionnier, ça voulait dire quelque chose ! »

« On était dans la grappe »

Après un service militaire chez les « paras », l’ancien étudiant en sciences politiques et sociologie prend des cours du soir en intelligence économique et crée, avec Jacques Attali, une start-up dans ce secteur. Il travaille ensuite dans plusieurs agences de com et devient un spécialiste reconnu de la communication numérique pour les ONG. Il co-écrit un premier ouvrage, Anonymous - Peuvent-ils changer le monde ?, voyage au cœur du monde des (h)acktivistes numérique et de la cyberculture libertaire qui le séduit. Avec un ancien collègue, Laurent Terrisse, il fonde l’Agence Limite, orientée vers la communication dite « non profit ». Il dispense des formations au Celsa : c’est là qu’une nouvelle utopie se dessine.

Deux de ses étudiants, Erwan Kezzar et Andrei Vladescu-Olt, lui téléphonent le 13 février 2013 : il faut qu’ils se voient ! Frédéric Bardeau leur donne rendez-vous au café Le Refuge, où il peut s’arrêter après avoir déposé ses enfants. « C’est là qu’ils me racontent Simplon : « Aux Etats-Unis, tu prends n’importe qui, t’en fais un développeur ! » Ils voulaient importer les bootcamps (des formations intensives, mélangeant théorie et pratique, ndlr) en France, avec de l’insertion professionnelle, et tout cela gratuitement. » Tous les trois connaissent bien le numérique mais rien de la formation professionnelle. La suite de l’histoire se joue rue Simplon, au bar le Cosmos. Simplon, c’était comme le nom de code du projet et puis un jour, dans la fougue de la création, il a fallu donner un nom. C’était parti pour Simplon.co, qui se crée la même semaine que l’école 42 de Xavier Niel. « On est arrivés au bon moment, au bon endroit. L’innovation apparaît par grappes, on était dans la grappe ! » Avec des mises sensiblement différentes : 10 000 euros en fonds propres pour Simplon.co, 10 millions pour l’école 42.

Sociale et solidaire

Simplon, c’est une école qui propose des formations gratuites aux métiers du numérique, en priorité aux jeunes peu ou pas diplômés, aux décrocheurs, aux allocataires du RSA, aux personnes handicapées, aux réfugiés... Au départ, 24 personnes sont rémunérées, pendant six mois, à temps plein. En septembre 2014, Simplon est l’une des premières « entreprise solidaire d’utilité sociale » (ESUS) agréée dans la foulée de la loi sur l’économie sociale et solidaire du 31 juillet de la même année. Aujourd’hui, Simplon, c’est 1500 à 2000 professionnels du numérique (code, développement, IA...), dont 38% de femmes, 97 fabriques dans le monde, dans plus 30 pays, avec un siège à Montreuil et une base à la halle Pajol. En termes d’insertion, les résultats parlent d’eux-mêmes : 73% de sorties positives après la formation. Bien plus que rendre le numérique accessible à tous, Simplon.co forme des professionnels du numérique reconnus.

En septembre dernier, Frédéric Bardeau surprend en annonçant qu’il donne l’ensemble de ses parts – soit plus de 50% - à la fondation Simplon. Il estime que « c’est normal, et en plus c’est cohérent » avec son projet, avec une volonté de ne pas « générer une plus-value et un enrichissement personnels à partir de levée de fonds, d’argent venant du mécénat et de subventions publiques ». Surtout, en donnant ses parts – majoritaires - à la fondation, il fait en sorte que Simplon reste un projet philanthropique, de « bisounours » comme il dit. C’est un projet d’économie sociale et solidaire, dont il a à cœur de se faire le chantre, cette économie qui met l’humain au centre des projets et qui n’a pas pour finalité première le profit. Il est ainsi administrateur du Mouvement des entrepreneurs sociaux (Mouves), fédérant 750 adhérents dans toute la France. L’élu en charge de l’économie sociale et solidaire dans le 18e, Frédéric Badina, dit de lui « [qu’] il a la passion de l’humain. Toujours à l’écoute, il le fait toujours en collectif. C’est un fidèle du 18e. »

Une vie au Simplon

Côté vie de famille, il a cinq enfants, entre 8 et 21 ans, de deux mariages différents. Il vit, en effet, son quartier : il fréquente le Bar commun de la rue des Poissonniers, il est membre associé du supermarché coopératif la Louve« c’est ma femme qui assure les permanences ! », il vient régulièrement à la Recyclerie, il est abonné au 18e du mois dont il suit l’agenda. « C’est comme ça que je suis allé voir l’expo photo autour de Chapelle international, à la mairie du 18e, que j’ai découvert la petite ferme urbaine près de Marx Dormoy. » Malgré ses voyages dans les dizaines d’écoles Simplon dans le monde (80) et ses interventions dans des conférences un peu partout – récemment, en ouverture du forum des associations et fondations, au Palais des Congrès -, il participe toujours avec plaisir, en tribu, aux repas de quartier de la rue Nicolet, à la brocante rue Lamarck, « une institution ». Il aime aller place Clichy au Weppler, à la librairie de Paris. Et au Louxor pour le cinéma.

À l’avenir, il se voit bien travailler dans une ONG en Afrique, faire du fundraising, de la communication responsable, et sa femme – médecin – travaillerait dans un dispensaire. D’ici là, de nouvelles idées auront sans doute germé de ce cerveau organisé en hyperliens !

Photo : Jean-Claude N’Diaye

Dans le même numéro (janvier 2020)

  • Le dossier du mois

    Des citoyens en action pour le climat

    Lucie Créchet
    À la demande d’Emmanuel Macron, 150 citoyens ont été tirés au sort pour réfléchir ensemble à des solutions contre le réchauffement climatique. Marie-Hélène, une habitante du 18e, est l’une d’entre eux.
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    Une promenade urbaine pas si tranquille

    Sylvie Chatelin
    Le réaménagement du vaste espace qui court sous le métro aérien entre les stations Barbès-Rochechouart et Stalingrad est très attendu. Le projet avance malgré une concertation difficile et la multiplicité des transformations imaginées sur cette zone.
  • La vie du 18e

    Des canards au jardin d’Éole

    Jacky Libaud
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    Allo, Montmartre 20 87 ?

    Dominique Boutel
    C’est l’histoire d’un taxiphone, ou plutôt l’histoire d’une époque où téléphones portables ou fixes n’existaient pas encore. Cela se passe au café Au rêve, rue Caulaincourt et cela raconte l’histoire d’un quartier et de ses habitants.
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    Quand notre arrondissement pouvait compter (sur ?) ses maisons de tolérance, en règle, archives à l’appui.
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    Le 360, la jeunesse du futur [Article complet]

    Dominique Boutel
    Le public va enfin découvrir le 360 Paris Music Factory, nouveau lieu consacré aux musiques transculturelles. Rencontre avec son fondateur, Saïd Assadi, qui entend proposer une nouvelle approche de la culture.

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novembre 2024