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octobre 2021 / Goutte d’or

Clarisse Hahn et les « princes » de Barbès

par Monique Loubeski

Lors des récentes rencontres photographiques d’Arles le travail de Clarisse Hahn, « Princes de la rue », a été très remarqué. Ses modèles : des vendeurs de cigarettes à la sauvette campés sous le métro aérien.

Clarisse Hahn est diplômée des Beaux-Arts. Refusant de s’enfermer dans le seul statut de photographe, elle réalise des documentaires (Kurdish Lover), de la fiction (Mescaline), crée des installations vidéo. Depuis 1998, dans un vaste projet baptisé Boyzone, elle étudie, à travers le monde (notamment au Mexique) la masculinité dans l’espace public. Même lorsque les corps se dénudent, son intention n’est pas de les érotiser. Avant de regarder les photos de Clarisse Hahn, le spectateur doit faire abstraction de l’iconographie homosexuelle associée à ce type de sujets. Scruter des hommes baignant quotidiennement dans la violence peut se révéler dangereux mais l’artiste a besoin de cette intensité. Dans sa vie et dans son travail.

Aux premières loges

En bas de chez elle, à Barbès, elle est intriguée par des groupes de jeunes. Des hommes entre eux, trentenaires. Le club est très fermé : ni femmes, ni ados, ni vieux. Ils sont en majorité originaires d’Afrique du Nord, lointains descendants de la politique coloniale de la France – dans l’exposition présentée à Arles figuraient deux photos d’archives prises pendant la Grande Guerre et montrant des soldats africains. Leur point de ralliement est sous le métro. Là une hiérarchie prend forme, avec ses codes, des solidarités se créent. Ces hommes ne sont pas des clochards. Leurs petits boulots, plus ou moins licites, leur permettent de s’offrir des abris précaires.

Clarisse parle beaucoup avec eux. Elle repère ceux qui seront les plus réceptifs à sa démarche. Une chose la frappe : la posture pleine de superbe qu’ils arborent au dehors. Une façon de tenir en respect la déchéance qui guette. Le vernis se craquèle dès qu’ils se sentent en sécurité. Le caïd se fait tendre, dépose son armure au vestiaire.

La photographe s’attache à la géographie du corps de ces hommes. Tatoués, zébrés de cicatrices. Difficile de connaître l’origine de ces balafres. Des bagarres entre bandes, des signes d’appartenance à un gang, de l’auto-mutilation ? Une chose est certaine : la rue marque et use très vite ceux qui s’y attardent. Imprimant la violence sur la peau.

Elément perturbateur

Travailler dans son quartier a ses avantages. Clarisse Hahn prend beaucoup de clichés. Parfois depuis sa fenêtre, à toute heure, en toute saison. Elle aime déclencher vite, capter une chute de neige illuminée par un réverbère, le début d’une rixe, un repas improvisé. Elle préfère la spontanéité à la mise en scène. Elle est consciente d’être un élément perturbateur. Sa présence modifie forcément les comportements. Un individu émerge parfois du groupe et se prête au jeu du portrait. Vient ensuite le tri des photos, une sorte de lente décantation. Même si l’image peut parler d’elle-même l’artiste tient à lui accoler un titre.

Clarisse Hahn aime Sophie Calle, Nan Goldin mais aussi la peinture de la Renaissance italienne. On en trouve un écho dans l’esthétique de ces corps éclatants mais malmenés par la rudesse de l’existence. Se consacrant aux « Princes de la rue » depuis 2018 elle n’a pas encore épuisé le sujet. « Je n’arrive pas à décrocher de Barbès », déclare-t-elle. Au point de préparer un documentaire où figureront les principaux personnages de ses photos. Le chantier n’en est qu’à son début.

Photo : Clarisse Hahn

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