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décembre 2022 / Les Gens

Yseult Delgeon, des bébés aux choux

par Sylvie Chatelin

Son parcours a toujours mené Yseult Delgeon vers la vie, tout d’abord lorsqu’elle était sage-femme et maintenant comme maraichère où elle fait naître du vivant et nourrit une centaine de familles. Portrait d’une grande fille, aux yeux clairs et doux, une femme fidèle à ses convictions.

« En 2015, j’ai couru le Marathon de Paris, et je me suis dit que si je le terminais alors je pourrais installer mon exploitation agricole. » Sage-femme à l’époque, Yseult réussit et fait la course en quatre heures, début d’une belle aventure.

Née à Rambouillet, la jeune femme a passé ses huit premières années à Maurepas et les cinq suivantes en pleine montagne à Areches-Beaufort, toujours « entre ville, montagne et campagne ». Nous sommes en 1992 et son père, postier, y avait été envoyé en mission à l’occasion des Jeux olympiques d’hiver à Albertville. Retour en région parisienne, vers Melun-Senart et "les champs de betteraves, qu’[elle] n’aime pas trop.

La jeune fille aime « la ville et la campagne qui ont chacune leurs défauts et leurs qualités » mais se cherche et ne sait pas trop ce qu’elle veut faire. Elle a cependant envie d’« un métier du soin, tourné vers l’humain ». Alors ce sera l’école de sage-femmes de 1999 à 2003 à Suresnes, avec un premier appartement à Montparnasse en colocation avant d’arriver dans le 18e il y a environ 18 ans à Jules Joffrin où elle vit toujours.

Concours réussi, elle effectue son premier stage auprès de patientes du 92, très aisées. « Mais ce n’était pas mon milieu et je n’étais pas à l’aise ». Changement radical lorsqu’elle arrive à l’hôpital Delafontaine où elle travaille auprès de « plein de femmes migrantes, avec des populations assez précarisées » et où elle se souvient avoir tout eu pendant sa première garde, « avec même un accouchement sur le parking ». Mais elle s’est « sentie tout de suite à l’aise » et se rend compte qu’elle "est bien dans l’action.

Des engagements qui ont du sens

Yseult a « pléthore d’histoires » à raconter, l’accompagnement durant toute une garde de cette parturiente africaine ayant subi une mort fœtale in utero ou cette autre femme qui « arrive, accouche de jumelles, remet ses baskets et repart (c’était un accouchement sous X) ». Elle dit qu’elle rentrait dans l’intimité des gens mais qu’elle avait le sentiment « d’être utile aux patientes et que ça avait un sens ».

La sage-femme passe deux masters dont celui de bio-éthique médicale et participe à la création du service de diagnostic anténatal où elle met en place des consultations pour les personnes non francophones. Elle rencontre à cette occasion Marguerite, médecin généraliste. Son mémoire portait sur l’excision et sa prise en charge. Et Marguerite précise qu’elle menait des consultations de reconstruction sans « y calquer un regard d’Occidentale ». « En tant que sage-femme, Yseult était très engagée, poursuit-elle, avec beaucoup de rigueur et d’éthique et une notion très forte du service public. Elle ne tergiversait pas et prenait tout son temps pour les échographies [malgré les directives de l’institution] ».

Pendant un arrêt maladie, la professionnelle de santé lit Le monde selon Monsanto de Marie-Monique Robin et prend conscience des problèmes environnementaux. Parallèlement, elle réalise que « l’hôpital public est en perdition et l’institution maltraitante pour les sage-femmes ». « Je ne pouvais plus soutenir la relation mère-enfant et j’avais peur de devenir maltraitante moi-même avec les patientes ». Alors qu’elle opère un changement radical dans sa vie, devenue végétarienne, se déplaçant à vélo, ne prenant plus l’avion, elle se rend compte qu’elle « peut être utile autrement ». « L’hôpital ne me laissait plus bien agir pour la société », conclut Yseult. Alors avec un petit pincement au cœur, après treize années passées à l’hôpital, elle y effectue sa dernière garde en 2016. Son projet a mûri : au lieu de soigner les gens, elle les nourrira.

Du 18e aux champs

La jeune-femme prend un congé de formation et prépare le BPREA (Brevet professionnel de responsable d’exploitation agricole) de septembre 2016 à septembre 2017 à Rennes. Et elle rejoint l’Amap de la Goutte d’Or en qualité d’amapienne un an avant sa fermeture. Elle y fait part de son désir de reconversion.

Elle est ensuite recrutée chez Boris Canal, maraîcher installé sur deux hectares à Mouroux en Seine-et-Marne. Puis son projet s’étoffe grâce à trois autres années en couveuse – toujours avec Boris – avec qui elle finira par s’associer et créer le GAEC du Vieux Saint-Augustin en 2020. Comme d’autres vont au bureau, elle s’y rend tous les jours en Transilien, mais à contre-courant. En deux ans, l’exploitation a doublé sa surface de production (cinq hectares depuis mars 2022) et Yseult livre maintenant deux Amap, dont celle de la Goutte d’Or qui avait perdu son maraîcher en 2018. Astrid, amapienne de la première heure, ne tarit pas d’éloges à son sujet. Elle est admirative de sa démarche, de son « projet très réfléchi, tellement pur et bien expliqué, pensé pour le bien de l’humanité ». Trinka, autre amapienne, surenchérit : « Yseult, c’est une perle ! Transparence, réflexion, partage, sérieux, rigueur, relations humaines, tout y est. Une belle personne dont le travail incarne ce qu’elle est. »

Gagner son autonomie

Catherine, son amie depuis dix ans, souligne sa cohérence et son intégrité et ajoute qu’elle a « une vision holistique des choses. Les légumes, c’est pas seulement pour le bien-être du corps mais aussi pour défendre une idée globale de l’écologie ».

Yseult donne effectivement un sens politique à sa démarche. Ainsi elle veut commercialiser ses paniers à un prix accessible, se réapproprier tous les savoirs et « reprendre la terre aux machines ». Elle et Boris se forment, avec une coopérative d’autoconstruction, à la fabrication des outils (Agrozouk et autre Cultibutte) et des structures dont ils ont besoin. Ils ont ainsi conçu eux-mêmes une serre à plants dont les fenêtres du bas qui servent à la ventilation ont été récupérées aux Grands voisins. Comme elle le dit elle-même, « on [Boris et elle] veut travailler moins mais on a des projets » : inclure une ou deux autres personnes dans le GAEC, acquérir des poules pour proposer des œufs aux amapiens, se diversifier et planter des haies sur la future parcelle des aromatiques. Pour conclure, laissons les derniers mots à Trinka, « Yseult, ancienne sage-femme a la sagesse de faire moins mais de faire mieux. »

Photo : Jean-Claude N’Diaye

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