Journal d’informations locales

Le 18e du mois

octobre 2024 / La vie du 18e

Toxicomanie, au cœur de la salle de conso

par Maxime Renaudet

Quatre ans après avoir autoédité sa première BD, 28m2 – Carnet de confinement, ou la chronique de son vécu de la pandémie dans son petit appartement du 18e arrondissement, Mat Let est de retour. Illustrateur et facilitateur graphique* pour des institutions et des ONG, cet autodidacte livre cette fois-ci une immersion dans la salle de consommation de l’hôpital Lariboisière (10e).

Une idée originale initiée par Ernst Wisse, employé au pôle réduction des risques en matière d’usage de drogues de Médecins du monde. « En voyant mon travail de carnet de voyages et de reportages graphiques, il a trouvé que ce serait intéressant que je vienne dessiner à la salle, explique Mat Let. Il trouvait que la photo et la vidéo étaient parfois trop invasives et que ça produisait des images peu attirantes pour le grand public. ». Entre 2021 et 2022, pendant un an et demi, l’illustrateur se rend alors à la salle à raison d’une demi-journée par semaine. Pas celle où on fait du sport, mais celle où on consomme des produits.

À moindres risques

Depuis son ouverture en octobre 2016, cette salle de consommation à moindre risque a fait beaucoup parler d’elle. Rarement de manière positive, contrairement au documentaire plein d’humanité de Cécile Dumas et Edie Laconi, Ici je vais pas mourir (2019).

Narrée à la première personne, la BD de Mat Let s’inscrit dans la même veine, même s’il raconte son expérience à la première personne. « Quand on vit dans le 18e, on croise des usagers de drogue, mais on ne sait pas toujours comment se comporter quand on n’y connaît rien. C ’est aussi ce qui est intéressant dans la démarche de cette BD : comprendre tous les aspects du quartier, tous les gens qui y vivent et ne pas essayer de les invisibiliser. » Pour ça, et pour se faire son propre avis, Mat Let s’efforce en amont de ne pas trop se renseigner sur le sujet. Équipé de son carnet, il s’entretient avec une multitude de personnes (usagers, travailleurs sociaux, bénévoles), que ce soit à la salle ou en dehors, assiste à des réunions et à des rendez-vous avec l’assistante sociale.

En résulte une BD inédite qui permet de mieux comprendre le fonctionnement d’une salle de consommation. Et qui tord le cou aux préjugés entourant ceux qui la fréquentent. « Le terme de salle de shoot, utilisé par les opposants, est en fait très réducteur. Car en effet, on peut se shooter dans une salle de conso, mais il y a beaucoup d’autres choses autour, notamment tout l’aspect social avec l’accès aux droits et aux soins, explique celui qui vit aujourd’hui à La Rochelle. Ce qui m’a le plus frappé et ce qu’on a peut-être du mal à comprendre, c’est la précarité. Les gens qui vont à la salle de conso sont essentiellement des personnes qui vivent à la rue. Et finalement, les plus gros dégâts pour leur santé physique et mentale viennent de là. C’est grâce à la lutte contre la précarité qu’on peut inciter les gens à sortir de la consommation, pas l’inverse. »

Pousser la pédale du réalisme

Colorisé par Fachri Maulana, l’ouvrage de Mat Let, À moindres risques : immersion en « salle de shoot », se veut semi-réaliste : « Je ne voulais pas dessiner un truc cartoon car ça aurait un peu trop occulté la réalité du sujet. Je voulais qu’on sente le quartier dans ses aspects imparfaits et qu’on se retrouve dans l’atmosphère de Barbès. D’un côté, la BD rend le sujet plus sympa visuellement, mais de temps en temps je pousse un peu la pédale du réalisme pour rappeler que ce sont de vrais gens, de vraies vies et parfois de vraies souffrances. »

Publiée le 21 août dernier aux éditions La Boîte à bulles, cette BD de 192 pages a été donnée au staff de la salle et à l’ensemble des usagers qui apparaissent dedans. « J’ai déjà eu beaucoup de retours de la part des employés, raconte l’illustrateur. Ils sont très contents car pour eux, c’est hyper difficile d’expliquer leur métier à leurs proches. » •

Autoportrait Mat Let

Dans le même numéro (octobre 2024)

  • Au sommaire

    Découvrez le numéro d’octobre !

    Alors que nous fêtons nos 30 ans en novembre, notre n° 330 est disponible depuis le 28 septembre. À la Une, coup de projecteur, notamment, sur les acteurs du « bien manger » dans le 18e. Que ce soient les nombreuses cuisines partagées qui ont émergé ces dernières années, ou le lycée Belliard, premier et seul établissement français à détenir le label Gastronomie durable. Pour digérer, on vous emmène aussi dans la vigne du Clos-Montmartre, au Paris basketball, dans la salle de consommation à moindre risque de l’hôpital Lariboisière, à la Villa Léandre pour un polar historique, puis au Moulin Rouge où la pianiste Sylvie Astruc assure les répétitions du French Cancan depuis plus de 20 ans.
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    Cuisinons collectif

    Stéphane Bardinet
    Elles sont associatives et à visée sociale, mais existent aussi sous forme commerciale, les cuisines partagées se multiplient sur le territoire. Notre arrondissement en comptera bientôt sept. Tour d’horizon.
  • Bien manger dans nos quartiers

    Lycée Belliard, label vie

    Dominique Andreani
    S’il reçoit tout de même 300 clients par semaine, le lycée Belliard mérite d’être encore mieux connu. Ça tombe bien, ce fleuron de l’Éducation nationale vient d’obtenir le label Gastronomie durable.
  • La vie du 18e

    L’ascension du Paris basketball

    Maxime Renaudet
    Vice-champion de France en titre, le Paris basketball entame sa première saison complète au sein de l’Arena porte de La Chapelle. En s’implantant dans le 18e, le club souhaite continuer à se développer.
  • Montmartre

    Fête des vendanges, au bon vin du 18e

    Béatrice Dunner
    Paysage familier des Montmartrois mais aussi haut lieu « instagrammable » pour les millions de touristes qui s’y pressent, la vigne de la rue des Saules est plus vigoureuse que jamais.
  • Histoire

    L’agent triple de la villa Léandre

    Dominique Delpirou
    Figure du contre-espionnage français durant la Seconde Guerre mondiale, Mathilde Carré alias « la Chatte » a activement participé au réseau de résistance Interallié depuis la villa Léandre. Avant de retourner sa veste en rejoignant un réseau britannique antinazi, puis les services secrets allemands.
  • Les Gens

    Sylvie Astruc, sur un air de French Cancan

    Janine Mossuz-Lavau
    Elle aimait la musique, la danse et Toulouse-Lautrec… une voie toute tracée pour se retrouver à Montmartre et accompagner au piano les répétitions des girls du Moulin Rouge.

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N° 338- juin 2025