Quatre ans après avoir autoédité sa première BD, 28m2 – Carnet de confinement, ou la chronique de son vécu de la pandémie dans son petit appartement du 18e arrondissement, Mat Let est de retour. Illustrateur et facilitateur graphique* pour des institutions et des ONG, cet autodidacte livre cette fois-ci une immersion dans la salle de consommation de l’hôpital Lariboisière (10e).
Une idée originale initiée par Ernst Wisse, employé au pôle réduction des risques en matière d’usage de drogues de Médecins du monde. « En voyant mon travail de carnet de voyages et de reportages graphiques, il a trouvé que ce serait intéressant que je vienne dessiner à la salle, explique Mat Let. Il trouvait que la photo et la vidéo étaient parfois trop invasives et que ça produisait des images peu attirantes pour le grand public. ». Entre 2021 et 2022, pendant un an et demi, l’illustrateur se rend alors à la salle à raison d’une demi-journée par semaine. Pas celle où on fait du sport, mais celle où on consomme des produits.
À moindres risques
Depuis son ouverture en octobre 2016, cette salle de consommation à moindre risque a fait beaucoup parler d’elle. Rarement de manière positive, contrairement au documentaire plein d’humanité de Cécile Dumas et Edie Laconi, Ici je vais pas mourir (2019).
Narrée à la première personne, la BD de Mat Let s’inscrit dans la même veine, même s’il raconte son expérience à la première personne. « Quand on vit dans le 18e, on croise des usagers de drogue, mais on ne sait pas toujours comment se comporter quand on n’y connaît rien. C ’est aussi ce qui est intéressant dans la démarche de cette BD : comprendre tous les aspects du quartier, tous les gens qui y vivent et ne pas essayer de les invisibiliser. » Pour ça, et pour se faire son propre avis, Mat Let s’efforce en amont de ne pas trop se renseigner sur le sujet. Équipé de son carnet, il s’entretient avec une multitude de personnes (usagers, travailleurs sociaux, bénévoles), que ce soit à la salle ou en dehors, assiste à des réunions et à des rendez-vous avec l’assistante sociale.
En résulte une BD inédite qui permet de mieux comprendre le fonctionnement d’une salle de consommation. Et qui tord le cou aux préjugés entourant ceux qui la fréquentent. « Le terme de salle de shoot, utilisé par les opposants, est en fait très réducteur. Car en effet, on peut se shooter dans une salle de conso, mais il y a beaucoup d’autres choses autour, notamment tout l’aspect social avec l’accès aux droits et aux soins, explique celui qui vit aujourd’hui à La Rochelle. Ce qui m’a le plus frappé et ce qu’on a peut-être du mal à comprendre, c’est la précarité. Les gens qui vont à la salle de conso sont essentiellement des personnes qui vivent à la rue. Et finalement, les plus gros dégâts pour leur santé physique et mentale viennent de là. C’est grâce à la lutte contre la précarité qu’on peut inciter les gens à sortir de la consommation, pas l’inverse. »
Pousser la pédale du réalisme
Colorisé par Fachri Maulana, l’ouvrage de Mat Let, À moindres risques : immersion en « salle de shoot », se veut semi-réaliste : « Je ne voulais pas dessiner un truc cartoon car ça aurait un peu trop occulté la réalité du sujet. Je voulais qu’on sente le quartier dans ses aspects imparfaits et qu’on se retrouve dans l’atmosphère de Barbès. D’un côté, la BD rend le sujet plus sympa visuellement, mais de temps en temps je pousse un peu la pédale du réalisme pour rappeler que ce sont de vrais gens, de vraies vies et parfois de vraies souffrances. »
Publiée le 21 août dernier aux éditions La Boîte à bulles, cette BD de 192 pages a été donnée au staff de la salle et à l’ensemble des usagers qui apparaissent dedans. « J’ai déjà eu beaucoup de retours de la part des employés, raconte l’illustrateur. Ils sont très contents car pour eux, c’est hyper difficile d’expliquer leur métier à leurs proches. » •
Autoportrait Mat Let