Paysage familier des Montmartrois mais aussi haut lieu « instagrammable » pour les millions de touristes qui s’y pressent, la vigne de la rue des Saules est plus vigoureuse que jamais.
Sur une parcelle de 1 500 m2 orientée plein nord, les pieds de vigne voisinent avec des plantes fleuries, autour d’une tonnelle centrale. Ce lieu existe depuis 1933, année où un groupe de Montmartrois s’est farouchement opposé à un projet immobilier sur ce qui était alors un terrain vague. Si l’on a voulu en faire une vigne plutôt qu’un square classique, ou un terrain de sport, c’est pour perpétuer le souvenir d’un temps où la Butte était largement viticole. D’ailleurs, les premières années, il n’était même pas question de vinification, on se contentait d’embouteiller le jus du raisin pour le distribuer dans les hôpitaux et les crèches. Il faudra attendre 1953 pour que la première cuvée sorte du chai.
Propriété de la Ville, le terrain est cultivé par les soins de la Direction des espaces verts, sous l’œil vigilant de l’œnologue Sylviane Leplâtre et du jardinier en chef Vincent, dont le prénom renvoie au saint patron des vignerons. Pour ce qui est de la promotion et de la gestion, la vigne relève du Comité des fêtes et d’actions sociales (COFAS), une association qui emploie quatre ou cinq salariés (dont l’œnologue) et s’appuie sur plusieurs bénévoles. « La vigne c’est l’image de Montmartre », rappelle Eric Sureau, son président. Car depuis le départ, cette vigne s’est voulue « solidaire« ».
Une oenologue-agronome sur la Butte
En effet, si le COFAS ne se charge plus de l’organisation de la Fête des vendanges, désormais sous-traitée à une agence d’événementiel, il continue d’utiliser les revenus de la vigne pour venir en aide aux plus démunis de l’arrondissement : repas au restaurant offert une fois par an à 1000 personnes âgées, galette des Rois, spectacle gratuit du Moulin-Rouge, et de nombreux soutiens à des associations luttant contre l’illettrisme ou le handicap. Mais au-delà de la carte postale, du slogan fédérateur et des bonnes actions, qu’est-ce exactement que la vigne de Montmartre ?
On pourrait penser qu’elle n’est plus que le pâle reflet d’un temps lointain, celui où la Butte produisait à volonté un « picolo » assez aigrelet, aux vertus très diurétiques. « Qui boit le vin de Montmarte, pour une pinte en pisse quarte », assure un célèbre dicton. Et bien, on aurait tort.
Un entretien avec Sylviane Leplâtre, l’œnologue du Clos-Montmartre, renverse nos idées reçues et ouvre des horizons différents. Loin de tout passéisme nostalgique, cette vigne est porteuse d’avenir : celui de la viticulture de ville, à Paris et au-delà, dans toute l’Île-de-France. L’orientation plein nord, jugée quasi aberrante il y a encore quelques années ? « Un atout de plus en plus précieux, avec le réchauffement climatique ». Le terroir ingrat ? Pas tant que ça : « c’est un sol léger et sablonneux qui, pourvu qu’on ne ménage pas sa peine, donnera des vins droits, nets, séduisants, aux tanins adoucis, à l’acidité modérée, aux accents fruités, légers et plaisants à boire. » Bref, un vin bien dans le goût du temps, à l’image de la native de Chartres qui a succédé à Francis Gourdin, le premier œnologue du Clos-Montmartre, lequel a doté le chai (au sous-sol de la mairie, place Jules-Joffrin) d’un équipement moderne (cuves, barriques, presse pneumatique qui améliore grandement la qualité du jus). « Mais il était plus œnologue qu’agronome, or cette dimension est aujourd’hui essentielle, en particulier dans les vignobles urbains », explique celle qui s’est formée comme ingénieure agronome et viticultrice à l’université de Montpellier.
Un encépagement à l’image de l’arrondissement
Sur la Butte, Sylviane Leplâtre trouve des ceps vieillissants, un vin encore médiocre et un sol qu’il faut nourrir et conforter. Mais dix ans plus tard, les résultats sont là. De nouvelles variétés, résistantes aux maladies ont progressivement remplacé les anciens plants, ce qui permet d’éviter tout traitement phytosanitaire (mis à part le soufre et le cuivre, qui, faute de substituts, sont acceptés pour les productions bio). La taille et le palissage permettent une couverture foliaire importante qui favorise la photosynthèse ; et le tri rigoureux à l’arrivée au chai permet de réserver les plus belles grappes aux cuvées de rouge, le reste allant au rosé.
Le nouvel encépagement, très éclectique, reflète bien la diversité de la population de Montmartre et du 18e ! La vendange, assurée par les jardiniers qui soignent la vigne toute l’année, est toujours tardive, puisque le terrain est au nord. Le vin produit pourrait arborer le label bio, mais c’est à la Mairie de Paris, propriétaire de la vigne, d’initier les démarches pour l’obtenir. Les bouteilles vendues ne contiennent qu’une infime dose de sulfites, pour garantir la stabilité du vin. Et voilà ! Ce clos de vigne, bientôt centenaire, est aujourd’hui plus jeune que jamais, à l’image d’un arrondissement qui sans cesse revit et se renouvelle. Levons nos verres de Clos-Montmartre à son bel avenir. •
Photo : COFAS