Journal d’informations locales

Le 18e du mois

octobre 2024 / Montmartre

Fête des vendanges, au bon vin du 18e

par Béatrice Dunner

Paysage familier des Montmartrois mais aussi haut lieu « instagrammable » pour les millions de touristes qui s’y pressent, la vigne de la rue des Saules est plus vigoureuse que jamais.

Sur une parcelle de 1 500 m2 orientée plein nord, les pieds de vigne voisinent avec des plantes fleuries, autour d’une tonnelle centrale. Ce lieu existe depuis 1933, année où un groupe de Montmartrois s’est farouchement opposé à un projet immobilier sur ce qui était alors un terrain vague. Si l’on a voulu en faire une vigne plutôt qu’un square classique, ou un terrain de sport, c’est pour perpétuer le souvenir d’un temps où la Butte était largement viticole. D’ailleurs, les premières années, il n’était même pas question de vinification, on se contentait d’embouteiller le jus du raisin pour le distribuer dans les hôpitaux et les crèches. Il faudra attendre 1953 pour que la première cuvée sorte du chai.

Propriété de la Ville, le terrain est cultivé par les soins de la Direction des espaces verts, sous l’œil vigilant de l’œnologue Sylviane Leplâtre et du jardinier en chef Vincent, dont le prénom renvoie au saint patron des vignerons. Pour ce qui est de la promotion et de la gestion, la vigne relève du Comité des fêtes et d’actions sociales (COFAS), une association qui emploie quatre ou cinq salariés (dont l’œnologue) et s’appuie sur plusieurs bénévoles. « La vigne c’est l’image de Montmartre », rappelle Eric Sureau, son président. Car depuis le départ, cette vigne s’est voulue « solidaire«  ».

Une oenologue-agronome sur la Butte

En effet, si le COFAS ne se charge plus de l’organisation de la Fête des vendanges, désormais sous-traitée à une agence d’événementiel, il continue d’utiliser les revenus de la vigne pour venir en aide aux plus démunis de l’arrondissement : repas au restaurant offert une fois par an à 1000 personnes âgées, galette des Rois, spectacle gratuit du Moulin-Rouge, et de nombreux soutiens à des associations luttant contre l’illettrisme ou le handicap. Mais au-delà de la carte postale, du slogan fédérateur et des bonnes actions, qu’est-ce exactement que la vigne de Montmartre ?

On pourrait penser qu’elle n’est plus que le pâle reflet d’un temps lointain, celui où la Butte produisait à volonté un « picolo » assez aigrelet, aux vertus très diurétiques. « Qui boit le vin de Montmarte, pour une pinte en pisse quarte », assure un célèbre dicton. Et bien, on aurait tort.

Un entretien avec Sylviane Leplâtre, l’œnologue du Clos-Montmartre, renverse nos idées reçues et ouvre des horizons différents. Loin de tout passéisme nostalgique, cette vigne est porteuse d’avenir : celui de la viticulture de ville, à Paris et au-delà, dans toute l’Île-de-France. L’orientation plein nord, jugée quasi aberrante il y a encore quelques années ? « Un atout de plus en plus précieux, avec le réchauffement climatique ». Le terroir ingrat ? Pas tant que ça : « c’est un sol léger et sablonneux qui, pourvu qu’on ne ménage pas sa peine, donnera des vins droits, nets, séduisants, aux tanins adoucis, à l’acidité modérée, aux accents fruités, légers et plaisants à boire. » Bref, un vin bien dans le goût du temps, à l’image de la native de Chartres qui a succédé à Francis Gourdin, le premier œnologue du Clos-Montmartre, lequel a doté le chai (au sous-sol de la mairie, place Jules-Joffrin) d’un équipement moderne (cuves, barriques, presse pneumatique qui améliore grandement la qualité du jus). « Mais il était plus œnologue qu’agronome, or cette dimension est aujourd’hui essentielle, en particulier dans les vignobles urbains », explique celle qui s’est formée comme ingénieure agronome et viticultrice à l’université de Montpellier.

Un encépagement à l’image de l’arrondissement

Sur la Butte, Sylviane Leplâtre trouve des ceps vieillissants, un vin encore médiocre et un sol qu’il faut nourrir et conforter. Mais dix ans plus tard, les résultats sont là. De nouvelles variétés, résistantes aux maladies ont progressivement remplacé les anciens plants, ce qui permet d’éviter tout traitement phytosanitaire (mis à part le soufre et le cuivre, qui, faute de substituts, sont acceptés pour les productions bio). La taille et le palissage permettent une couverture foliaire importante qui favorise la photosynthèse ; et le tri rigoureux à l’arrivée au chai permet de réserver les plus belles grappes aux cuvées de rouge, le reste allant au rosé.

Le nouvel encépagement, très éclectique, reflète bien la diversité de la population de Montmartre et du 18e ! La vendange, assurée par les jardiniers qui soignent la vigne toute l’année, est toujours tardive, puisque le terrain est au nord. Le vin produit pourrait arborer le label bio, mais c’est à la Mairie de Paris, propriétaire de la vigne, d’initier les démarches pour l’obtenir. Les bouteilles vendues ne contiennent qu’une infime dose de sulfites, pour garantir la stabilité du vin. Et voilà ! Ce clos de vigne, bientôt centenaire, est aujourd’hui plus jeune que jamais, à l’image d’un arrondissement qui sans cesse revit et se renouvelle. Levons nos verres de Clos-Montmartre à son bel avenir. •

Photo : COFAS

Dans le même numéro (octobre 2024)

  • Au sommaire

    Découvrez le numéro d’octobre !

    Alors que nous fêtons nos 30 ans en novembre, notre n° 330 est disponible depuis le 28 septembre. À la Une, coup de projecteur, notamment, sur les acteurs du « bien manger » dans le 18e. Que ce soient les nombreuses cuisines partagées qui ont émergé ces dernières années, ou le lycée Belliard, premier et seul établissement français à détenir le label Gastronomie durable. Pour digérer, on vous emmène aussi dans la vigne du Clos-Montmartre, au Paris basketball, dans la salle de consommation à moindre risque de l’hôpital Lariboisière, à la Villa Léandre pour un polar historique, puis au Moulin Rouge où la pianiste Sylvie Astruc assure les répétitions du French Cancan depuis plus de 20 ans.
  • Bien manger dans nos quartiers

    Cuisinons collectif

    Stéphane Bardinet
    Elles sont associatives et à visée sociale, mais existent aussi sous forme commerciale, les cuisines partagées se multiplient sur le territoire. Notre arrondissement en comptera bientôt sept. Tour d’horizon.
  • Bien manger dans nos quartiers

    Lycée Belliard, label vie

    Dominique Andreani
    S’il reçoit tout de même 300 clients par semaine, le lycée Belliard mérite d’être encore mieux connu. Ça tombe bien, ce fleuron de l’Éducation nationale vient d’obtenir le label Gastronomie durable.
  • La vie du 18e

    Toxicomanie, au cœur de la salle de conso

    Maxime Renaudet
    Quatre ans après avoir autoédité sa première BD, 28m2 – Carnet de confinement, ou la chronique de son vécu de la pandémie dans son petit appartement du 18e arrondissement, Mat Let est de retour. Illustrateur et facilitateur graphique* pour des institutions et des ONG, cet autodidacte livre cette fois-ci une immersion dans la salle de consommation de l’hôpital Lariboisière (10e).
  • La vie du 18e

    L’ascension du Paris basketball

    Maxime Renaudet
    Vice-champion de France en titre, le Paris basketball entame sa première saison complète au sein de l’Arena porte de La Chapelle. En s’implantant dans le 18e, le club souhaite continuer à se développer.
  • Histoire

    L’agent triple de la villa Léandre

    Dominique Delpirou
    Figure du contre-espionnage français durant la Seconde Guerre mondiale, Mathilde Carré alias « la Chatte » a activement participé au réseau de résistance Interallié depuis la villa Léandre. Avant de retourner sa veste en rejoignant un réseau britannique antinazi, puis les services secrets allemands.
  • Les Gens

    Sylvie Astruc, sur un air de French Cancan

    Janine Mossuz-Lavau
    Elle aimait la musique, la danse et Toulouse-Lautrec… une voie toute tracée pour se retrouver à Montmartre et accompagner au piano les répétitions des girls du Moulin Rouge.

En kiosque

N° 338- juin 2025