Journal d’informations locales

Le 18e du mois

Abonnement

FacebookTwitter

novembre 2022 / Charles-Hermite

Tambours, toiles et fourchettes

par Noël Bouttier

Encouragée par des clubs d’investisseurs citoyens et forte d’une expérience d’artisanat social en Inde, une jeune femme se lance le défi d’inciter la clientèle d’une laverie à se restaurer tout en se nourrissant d’art.

« Y a pas une semaine où je ne rentre pas chez moi avec des étoiles dans les yeux ». Cela fait un an qu’Anne-Charlotte Gandziri a ouvert La Corvée à Charles-Hermite. Une année pleine où le projet un peu fou d’un lieu associant laverie solidaire, restauration végétarienne et galerie d’art s’est concrétisé.

Cette jeune femme (aujourd’hui 28 ans) a suivi un cursus d’études (lettres classiques, école de commerce), pour travailler ensuite dans une agence de communication. Mais pas longtemps : « Je n’y suis restée qu’un an et demi, raconte-t-elle, car les missions n’étaient pas en accord avec mes valeurs. Je suis ensuite partie pendant dix-huit mois en Inde où j’ai accompagné des projets d’innovation sociale dans l’artisanat ».

Lien entre social et entrepreneuriat

Anne-Charlotte revient en France en 2019, avec l’idée de « construire un projet qui fasse le lien entre le social et l’entrepreneuriat ». Elle travaille main dans la main avec la Ville de Paris. Pourquoi avoir choisi Charles-Hermite ? « Le quartier de la Goutte d’Or où j’habitais était très riche en initiatives. A l’occasion de maraudes du côté de la porte de La Chapelle, en particulier à Charles-Hermite, j’ai constaté qu’il n’y avait pas de lieu de vie. »

L’arrivée du Covid va quelque peu retarder le lancement du projet, qui démarre en novembre 2021. Il prend place dans un grand bâtiment situé sur le boulevard Ney qui abrita pendant très longtemps une épicerie. « Je me suis inspirée d’une boutique qui existe à Colombes (92) – laverie, bouquiniste et salon de thé, raconte-t-elle. Et puis, j’ai été énormément épaulée par les Cigales, des clubs d’investisseurs citoyens. J’étais rassurée. »

On entre donc à la Corvée. Sur la gauche, des machines à laver et de séchage automatiques. En face, des bancs en bois et des petites tables. Devant les grandes baies vitrées, des livres en libre-service. Au fond, un coin cuisine et un comptoir. Et au sous-sol, une salle d’exposition.

Le pari d’associer trois disciplines

Le lieu associe trois fonctions rarement réunies dans un même lieu : laver ses affaires, se restaurer et s’éveiller à l’art. C’est gratuit pour les personnes en grande difficulté sociale (qui sont souvent orientées par des associations partenaires ou des travailleurs sociaux) et à bas prix pour les autres populations (par exemple, 4 € une machine à laver et 8 € un plat).

La laverie a une place centrale dans le projet. « L’insertion passe aussi par la propreté, insiste Anne-Charlotte. Chaque mois, nous offrons environ 200 lavages. » La fondatrice reconnaît qu’il a fallu un peu de temps pour que les habitants identifient la Corvée. « Au début, poursuit-elle, les gens ne savaient pas que la laverie était ouverte à tout le monde, pas seulement aux gens en difficulté. Il n’existe pas d’autre laverie en libre-service dans le quartier. »

L’autre axe, la restauration (plats, sandwichs, gâteaux, etc.), est assuré par la seconde salariée, Jeanne Forissier. Cette jeune cuisinière a toujours voulu travailler dans un cadre associatif. « La dimension sociale, cette capacité à accueillir différents types de public me plaît beaucoup », précise-t-elle. Le parti pris a été de proposer exclusivement de la cuisine végétarienne. Là aussi, il a fallu convaincre. « C’est vrai que certains repartent quand ils apprennent qu’il n’y a pas de viande, reconnaît Jeanne. Mais nous avons également des clients qui ne connaissaient pas et sont séduits par la cuisine gourmande que je propose. » Des ateliers de cuisine sont aussi proposés.

Une galerie d’art

Les midis, du lundi au vendredi, déjeunent ensemble des gens en grande difficulté (qui ne paient pas), des habitants, des salariés travaillant de l’autre côté du boulevard et parfois des visiteurs culturels. Car le troisième pilier de la Corvée, c’est cette galerie d’art ouverte à la jeune création (une expo chaque mois). Pas évident de faire ce pari dans un quartier populaire. « Nous demandons aux artistes qui exposent d’être présents à la Corvée pour faciliter l’accès à l’art, avec des ateliers, des visites », explique Anne-Charlotte. Un des défis du lieu est d’amener les utilisateurs de la laverie à descendre voir l’expo, ce que beaucoup n’ont jamais fait. « C’est plus simple d’ouvrir la porte d’une laverie que celle d’une galerie  », poursuit la fondatrice.

En fin de journée, l’activité d’aide aux devoirs

Les débuts de la Corvée sont prometteurs. Anne-Charlotte a même ajouté, en fin de journée, une activité d’aide aux devoirs pour les plus jeunes. Reste à amplifier l’élan pour atteindre les objectifs humains et financiers. Les subventions, essentiellement de la Ville de Paris (le projet a bénéficié du budget participatif en 2019), ne représentent que 40 % d’un budget total de 120 000 euros. Pour le reste, la structure compte sur sa capacité d’autofinancement : restauration, lavage et même conditionnement et vente de lessive, une activité pour laquelle la Corvée embauche quelques heures une personne en pré-chantier d’insertion. •

Photo : Jean-Claude N’Diaye

Dans le même numéro (novembre 2022)

  • Le dossier du mois

    Camaïeu : le magasin de la rue Ordener entraîné dans le naufrage

    Dominique Andreani
    Stupeur et inquiétude après le sabordage d’une grande marque de prêt-à-porter toujours à la recherche de profits plus importants, au mépris des salariés et de leurs familles.
  • La vie du 18e

    Vauvenargues : les riverains font reculer la Poste

    Dominique Andreani
    Le bureau ne fermera pas fin novembre. Mais si la mobilisation semble avoir porté ses fruits, tout n’est pas gagné pour autant.
  • Goutte d’or

    Une initiative ludique contre le harcèlement scolaire

    Sylvie Chatelin
    Les enfants victimes peuvent vivre un enfer dans et en dehors de l’école avec l’extension aux réseaux sociaux. Tous les enfants sont concernés en tant que victime, harceleur ou témoin. Un support pédagogique, conçu à la Goutte d’Or, vise à les sensibiliser et leur donne les outils pour réagir contre ce fléau.
  • Montmartre

    Carreau sur le boulodrom du CLAP

    Erwan Jourand
    Pétition, tee shirts, manifestation… On s’agite sur la Butte autour d’un possible projet commercial menaçant l’existence d’un terrain de pétanque avenue Junot.
  • Culture

    Suzanne Valadon femme libre et artiste indépendante

    Danielle Fournier
    Suzanne Valadon, peintre et modèle, a révolutionné le genre du nu. Elle est la première femme artiste à peindre des nus masculins sur des toiles de grandes dimensions. Elle a vécu presque toute sa vie à Montmartre avec son fils, Maurice Utrillo, notamment au 12, rue Cortot qui abrite aujourd’hui le musée de Montmartre.
  • Culture

    Fernande Olivier, une artiste au cœur de la création

    Dominique Boutel
    Dans l’intimité du Bateau Lavoir et de Fernande Olivier, compagne de Picasso, le musée de Montmartre propose une expo en prélude à la célébration en 2023, du cinquantenaire de la disparition du peintre. Car c’est à Montmartre que tout commence…
  • Culture

    L’art de la fête foraine au 104 [Article complet]

    Sandra Mignot
    La Foire foraine d’art contemporain occupera presque tout l’hiver la partie ouest du 104. Des attractions revisitées proposent un voyage où l’on s’amuse, s’effraie et s’étourdit, animé par une cinquantaine d’artistes qui se sont...pris au jeu.
  • Les Gens

    Céleste Bollack, une artiste dans les étoiles

    Noémie Courcoux Pégorier
    Porteuse d’un prénom évocateur, Céleste Bollack, 51 ans, artiste peintre est passée du 16e au 18e arrondissement avec bonheur. De la Butte à Marx Dormoy, récit d’une vie entière dédiée à la création.