Dans l’intimité du Bateau Lavoir et de Fernande Olivier, compagne de Picasso, le musée de Montmartre propose une expo en prélude à la célébration en 2023, du cinquantenaire de la disparition du peintre. Car c’est à Montmartre que tout commence…
Fernande Olivier, pseudonyme que s’est choisi la jeune Amélie Lang de 19 ans que la vie n’a jusque-là pas ménagée, s’installe au Bateau Lavoir, comme l’a appelé Max Jacob, au 13 rue Ravignan, en 1901. Pour subsister, elle est devenue modèle professionnel et partage l’atelier avec les artistes qui se sont installés dans ce dédale d’escaliers et de recoins, dépourvu de confort, mais animé d’une vie intellectuelle et artistique intense. C’est là qu’en 1904 elle rencontre le jeune Pablo, pas encore devenu Picasso, fraîchement débarqué de son Espagne natale et avec lequel elle vivra ce qu’elle considèrera par la suite comme « ses années de bonheur », jusqu’en 1912.
Très appréciée des peintres, elle pose pour eux, en particulier pour le catalan Canals qui fait d’elle le premier tableau dans lequel elle se plaît (exposé ici). Mais à la demande de Pablo, elle arrête de travailler, malgré la misère qui est la leur. Ces années-là correspondent à une période majeure dans l’œuvre de Picasso, la fin de la période bleue, le passage à la période rose puis un peu plus tard le passage au cubisme.
C’est cette modernité qui est dans l’air du Bateau-Lavoir que l’exposition fait revivre. Construite par les deux commissaires Nathalie Bondil et Saskia Ooms autour de deux textes de Fernande Olivier, Picasso et ses amis, publié en 1933 et Souvenirs intimes, publié à titre posthume par son filleul en 1988, est mise en lumière la naissance des courants modernes dans ce Montmartre où se retrouvaient des artistes de tous bords, peintres, écrivains ou poètes.
Femme moderne témoin des avant-gardes
Elle révèle également l’intime de la pensée d’une femme au tempérament d’artiste, qui a un avis aiguisé sur la création et qui apparaît enfin pour elle-même, peintre, écrivain, et non uniquement comme la première compagne en France de Picasso, « la Belle Fernande ». Ces deux ouvrages, ainsi que des lettres ou même un court documentaire, sont des témoignages directs et finement exprimés sur la vie autour du Bateau-Lavoir et surtout, sur le cheminement du travail du peintre et de ses amis. A la suite de Fernande, dont les commentaires animent les murs du musée, nous suivons la démarche artistique de Picasso, dont elle fut le modèle quasi exclusif à cette époque. Les amis du couple que l’on croise tout au long de l’exposition, ce sont Max Jacob, Le Douanier Rousseau, Apollinaire, Braque, Marie Laurencin, Salmon, Gertrude Stein... la fine fleur de la vie artistique parisienne de l’époque : « J’ai vécu avec eux, plus près d’eux que n’importe qui, puisque »chez Picasso« c’était aussi chez eux (...) J’ai vécu de leur existence, je les ai vus vivre, penser, souffrir, espérer et surtout travailler » écrit-elle.
S’ouvrant sur une artiste contemporaine – Agnès Thurnauer – et se refermant sur deux magnifiques portraits de Fernande signés Van Dongen, l’exposition, au-delà d’un moment d’histoire, donne à voir comment les mots libèrent la parole des femmes.
Un audioguide donne d’ailleurs la parole à Fernande Olivier et conduit le visiteur tout au long de l’exposition. Une nouveauté également, d’une grande importance, la création d’un parcours enfants sous forme de cartels adaptés et de bulles de bandes dessinées leur racontent, à leur hauteur, la vie de Fernande et de Picasso.