Comédienne, auteure, metteuse en scène, Sylvie Haggaï est une militante du théâtre qui transporte son art vers des lieux inattendus.
A quoi ressemblerait la vie dans chaque immeuble s’il y avait une Sylvie Haggaï ? Il y aurait peut-être un peu plus d’échange et de curiosité pour découvrir le monde qui nous entoure. C’est ce qu’elle tente de faire à la Goutte d’Or, le quartier où elle vit depuis plus de trente ans. Avec sa compagnie de théâtre, Gaby sourire, elle provoque des rencontres dans les immeubles.
Sylvie a grandi à Bezons, dans le Val d’Oise. Son amour pour le théâtre lui vient de ses parents. Sa mère artiste peintre a fait les Beaux-Arts et l’emmenait souvent au musée, au théâtre. Son père était photographe de rue. « De par son métier, c’était quelqu’un qui avait un contact avec les gens. » Et d’ajouter : « Le théâtre est une espèce de mélange des deux, je pense qu’ils ont eu une influence. » C’est aux côtés du metteur en scène Joël Dragutin qu’elle débute dans le théâtre à Cergy-Pontoise : « J’ai suivi un de ses cours. À un moment donné, il m’a proposé de l’assister et j’ai plongé dans le projet de la mise en place du Théâtre 95. » Deux ans après, elle part vivre à Paris pour se former davantage, notamment au Théâtre de l’Île-de-France et au Théâtre de l’Ombre dans le 20e. Plus tard, à 40 ans, elle reprend ses études pour faire une licence en scénographie et dramaturgie avec comme professeur Daniel Lemahieu, auteur et metteur en scène, qui a beaucoup compté dans son parcours artistique.
Le théâtre en bas de chez soi
Sylvie arrive dans le 18e par amour, elle y a rencontré l’homme qui est devenu son compagnon et le père de ses deux filles. Le métier amène parfois à être loin de chez soi, mais : « Je ne me voyais pas partir trois à cinq semaines en tournée et faire garder mes filles. J’avais envie d’être près d’elles et cela a dû avoir une incidence sur le fait de choisir de travailler en bas de chez moi et il y a de quoi faire. »
Parmi ses lieux favoris dans le 18e, il y a évidemment un théâtre, le Lavoir moderne parisien (LMP), qu’elle aurait aimé voir plus intégré dans la vie du quartier. Son grand plaisir du matin est de prendre un café, à une terrasse qu’elle trouve sur son chemin, avant de commencer à travailler dans le local de sa compagnie. Sur la porte, une pancarte « « entrée libre » indique bien l’esprit du lieu plein de décors et de costumes. Une invitation à la curiosité.
Si elle a débuté comme comédienne, très vite, son choix s’est porté sur la mise en scène et la direction d’acteurs : « C’est là où je me sens bien, même si je reviens régulièrement sur le plateau, parce que lorsqu’on dirige des comédiens, il est important de continuer à s’entraîner, à réfléchir et à se remettre en question. » Lorsqu’elle monte sur scène, c’est pour faire des lectures, défendre un texte. Cependant, Sylvie Haggaï n’associe pas seulement le théâtre au texte, mais aussi aux gens : « On ne peut pas faire du théâtre seul, on est forcément avec d’autres. C’est cette interaction qui est intéressante, cette chimie entre les gens, que ce soit avec les comédiens ou avec le public, que ce soit la transmission ou le partage d’une émotion, d’un sujet, d’une vision. » Persuadée, que cet art a besoin de se renouveler, Sylvie a pris le parti d’aller vers les gens, prenant le prétexte du théâtre pour faire tomber les barrières : « La plupart des gens ne vont pas au théâtre, car ils peuvent vivre sans y aller, mais alors ils peuvent passer à côté d’une rencontre qui peut déclencher un truc incroyable, une émotion… ».
Déplacer le théâtre hors de la scène
Au sein de Gaby sourire, créée en 2004 avec Gwenaël Rouleau, qui a travaillé au LMP, Sylvie Haggaï est entourée de comédiens qui ont, comme elle, envie de faire bouger les choses. Cela passe par des interventions auxquelles sont associés les habitants, comme au 28-32 rue de la Goutte d’Or, grâce à un partenariat avec Paris Habitat. Elles ont donné lieu à des créations comme En attendant le gardien ou Notre vie au 28-32. « On a joué à domicile, dans la rue, dans des cours d’immeuble, sur des terrasses, on a même fait des interventions dans des ascenseurs. J’aime déplacer le théâtre hors de la scène », précise Sylvie. L’objectif étant surtout de faire tomber les stéréotypes et les préjugés, la compagnie joue régulièrement du Shakespeare depuis une expérience « incroyable » lors d’une représentation à domicile.
Le comédien Christophe Sigognault, autre pilier de Gaby sourire, s’est embarqué dans l’aventure depuis plus de quinze ans. Il forme avec Sylvie Haggaï un duo : « Je peux penser et amener des idées, puis on les écrit ensemble, ensuite je retourne à l’écriture tout seul pour faire de la dramaturgie et elle me laisse faire, enfin on finalise le projet ensemble et elle s’occupe de la mise en scène », détaille le comédien. « Sylvie est une très belle personne, sensible et généreuse, et notamment dans son travail avec les habitants du quartier auxquels elle propose des sorties au théâtre. C’est un régal de travailler avec elle. »
Ancrage territorial
Gaby sourire a participé récemment aux 10 ans du jardin de l’Univert, en offrant une intervention théâtrale aux fenêtres. Anne, animatrice du jardin, collabore régulièrement avec Sylvie Haggaï. Les deux femmes travaillent sur le même territoire et s’adressent au même public : « On essaye de mettre un maximum de choses en commun au niveau culturel et ce qui est assez formidable avec Sylvie, c’est qu’elle connaît tout le monde par son prénom, elle a ses entrées un peu partout, dans des coins où les gens ne vont pas forcément », résume Anne. « Elle arrive à faire infuser des choses, titiller et ouvrir leur esprit. »
Au fil des années, une confiance s’est installée entre Sylvie et les habitants, sans doute parce qu’elle les a compris : « Il y a des gens qui me disent qu’ils en ont marre qu’on vienne les voir parce qu’ils sont noirs, arabes, immigrés, pauvres… Ils ont envie qu’on aille les voir pour ce qu’ils sont, des êtres humains. »
Photo : Thierry Nectoux