Le 18e du mois a quitté la rue Marcadet pour s’installer au cœur du quartier Amiraux-Simplon-Poissonniers. Venez nous rencontrer et visiter ce quartier, à l’écart des parcours touristiques qui prennent d’assaut la colline du Sacré-Cœur pour voir Paris d’en haut.
Nous vous proposons plutôt « l’histoire par en bas », à la découverte d’un quartier modeste et populaire, en pleine mutation. C’est depuis toujours un quartier où on travaille, où on vit, où on habite. Il doit son nom à quelques rues : la rue des Amiraux, ancienne rue des Vosges rebaptisée en 1926, en souvenir des chefs d’une bataille des troupes de marine en 1870 au Bourget, la rue du Simplon, ancienne rue de la Chardonnière renommée en 1877, en souvenir de la route du Simplon dans les Alpes, ouverte sous Napoléon - comme la rue du Mont-Cenis qui la coupe et enfin, de la rue des Poissonniers, ancien chemin du même nom par où arrivaient dans Paris les poissons de la Manche et de la mer du Nord. Il forme un triangle délimité par le boulevard Ornano, la rue Belliard et la rue des Poissonniers. Au nord, l’axe des boulevards des Maréchaux et à l’est, les voies SNCF de la gare du Nord isolent le quartier et contribuent à son histoire.
Passé industriel disparu
De très nombreux ateliers témoignent du passé artisanal de ce quartier. Par exemple, au 25 de la rue du Simplon on trouve la maison Frémont. Les Frémont sont une vieille famille du quartier : Louis Charles, le grand-père de Charles, né à La Chapelle en 1798, avait monté un atelier de serrurerie repris par son fils puis son petit-fils. Il a laissé de nombreuses photos de Paris, surtout de Montmartre, avec des scènes de rue, les petits métiers d’antan, les travaux de transformation de l’espace urbain : la construction du métro, du Sacré-Cœur, la démolition des fortifications. Il nous donne à voir le quotidien d’un Paris disparu à travers 17 000 clichés, conservés à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris et aussi à la Société du Vieux Montmartre. Une plaque rappelle sa vie.
A deux pas, un autre atelier industriel du XIXe siècle, au 143 rue de Clignancourt, a brûlé en 1997 puis a été réhabilité par l’OPAC qui en a fait un bâtiment d’ateliers-logements et d’artistes. A l’origine, c’était un édifice à structure en pans de bois où étaient fabriqués des tapis-brosses jusqu’à la fin de la guerre, cédant la place à un menuisier jusqu’en 1970, suivi par des artistes du groupe Cobra. On peut lire dans la réhabilitation, des traces de cette architecture modeste qui témoignent des activités industrielles du XIXe siècle à Paris. Le quartier compte d’autres vestiges importants de ce passé industriel, comme les forges Eiffel et une corderie rue Boinod.
La partie septentrionale est encore occupée par de grands ateliers et un dépôt de bus de la RATP sur près de neuf hectares. Construit à partir de 1882, cet ensemble où la brique domine n’a cessé d’évoluer au rythme des changements technologiques concernant les bus et leur réparation. Le projet de la Halle Belliard qui prévoit de construire des logements et des bureaux sur ce site en est le dernier avatar.
Le 118 rue du Mont-Cenis, conçu par le célèbre architecte Renzo Piano (co-concepteur du Centre national d’art et de culture Georges-Pompidou) reprend la structure en sheds des anciens sites industriels. Il accueille Warner Music France qui réunit tous les artistes et labels de la marque (WEA, Elektra, Nonesuch, Chrysalis, Parlophone, Atlantic, Erato, Warner Classics, Parlophone, Warner France etc.) mais également aujourd’hui plusieurs labels, artistes et compositeurs indépendants.
Sport, culture et culte
L’immeuble à coursives du 12 rue Neuve de la Chardonnière date de la fin du XIXe siècle lui aussi. A l’origine, c’était un petit hammam avec une piscine qui a été comblée il y a longtemps mais qui témoigne d’un mode de vie. Non loin, le cinéma Ornano 43 qui affiche son adresse, fait partie des très nombreux cinémas disparus. Cependant, on peut encore en admirer la façade qui s’inspire de l’architecture navale, avec ses hublots et son enseigne cheminée. Il est maintenant occupé par un supermarché et il avait fait la une de notre journal en avril 2019, à propos d’un article qui mettait en lumière le patrimoine cinématographique de notre arrondissement.
Au 23 de la rue du Simplon se trouve l’église Saint-Sava. C’est un ancien temple protestant bâti en 1906 par la paroisse des Batignolles et transféré à celle de Montmartre en 1945. La communauté serbe orthodoxe, après l’avoir loué depuis 1964, l’a acheté en 1984 et transformé en église orthodoxe serbe. Pour les besoins du culte orthodoxe, l’intérieur a été réaménagé avec l’installation d’une iconostase et l’ajout au-dessus de la porte de l’église de Saint-Sava, le premier archevêque de l’Église orthodoxe serbe, brûlé par les Turcs. C’est le siège épiscopal du diocèse orthodoxe serbe de France et d’Europe occidentale de ce culte. Tout autour, quelques boutiques et restaurants offrent des produits serbes typiques, pour poursuivre le voyage.
La cité Traëger, au 19 rue Boinod, offre depuis juin 2009 des salles pour les associations du quartier autour d’un concept original : mixer espace associatif et équipements sportifs. L’agence Lankry qui a réalisé le projet a confié à Patrick Tosani la création d’une image imprimée sur verre sur toute la façade principale du bâtiment, pensée comme une fresque.
A boire et à manger !
Le bar La Petite Renaissance, devenu Le Petit Parisien, au 36 boulevard Ornano nous offre, derrière le comptoir, une grande décoration en céramique qui date du début du XXe siècle. C’est la reproduction d’une peinture de David Teniers II, dit Le Jeune, qui vécut au XVIIe siècle. Membre de la Guilde d’Anvers, il se lia alors avec Jan Brueghel l’Ancien dont il épousa la fille, Anne. Le roi boit est une scène de genre flamande. On y voit trois couples âgés autour d’une table, un roi qui lève son verre, une femme qui fait cuire des crêpes et un homme qui danse, un verre dans une main une crêpe dans l’autre, coiffé d’un bonnet à grelots. Il nous donne la clé de cette réunion : une scène de carnaval ! A l’époque, de nombreuses boutiques choisissaient ce genre de décoration dont on a un autre exemple avec le Lux Bar, rue Lepic. Hélas, il semble toujours fermé, malgré la récente autorisation de réouverture.
La vie de quartier passe par des petits bistrots et on ne peut passer sous silence le Bar commun, rue des Poissonniers, juste en face du joli square du 122 . C’est « un espace de convivialité, un espace d’engagement et un espace d’échange et de débat » géré par une équipe de bénévoles.
Les initiatives foisonnent dans ce quartier à l’aspect tranquille. Par exemple, La Louve, le supermarché coopératif créé par des habitants, a officiellement ouvert ses portes en novembre 2017. Asterya, rue du Nord, propose à ceux qui souhaitent s’engager de « les aider à trouver une association, se renseigner sur les missions ponctuelles, monter un projet de quartier ».
Un quartier où on habite
Les années 30 marquent une évolution importante du quartier, après les constructions de faubourg du XIXe siècle. Le quartier s’urbanise, parfois dans l’esprit haussmannien avec des immeubles de rapport dans la rue du Simplon ou avec des HBM. En 1929, André Granet construit à l’angle du boulevard Ornano et de la rue Boinod, un immeuble en briques. Il abrite des grands appartements familiaux, accueillant une nouvelle population. Il faut s’arrêter et regarder « l’angle du carrefour, bien dessiné avec ses files de briques qui montent en s’élargissant comme des conduits de cheminée qu’elles ne sont pas ». Depuis peu, dans les petites rues étroites aux immeubles à deux étages, rue du Nord, rue Emile Chaîne, les anciens logements ouvriers sont rénovés ou remplacés par des constructions modernes à taille humaine. Le fer et le bois sont souvent employés mais l’esprit des lieux est bien conservé.
Enfin, LE bâtiment remarquable, à plus d’un titre, c’est l’immeuble et la piscine des Amiraux, construits par Henri Sauvage entre 1922 et 1927. Il a fondé avec Charles Sarrazin la Société des logements hygiéniques à bon marché en 1903. Tout un projet, qu’il met en œuvre dans la construction de cet immeuble de sept étages et 78 logements sociaux, actuellement gérés par Paris Habitat. Hygiénique : l’immeuble est construit en gradins pour mieux laisser passer le soleil, l’air, la lumière dans l’appartement et améliorer les conditions d’habitation des habitants. L’architecte veut modifier les pratiques sociales, architecturales et urbanistiques en proposant aussi des intérieurs aménagés de manière moderne, avec chauffage, garde-manger, vide-ordures, coffre à linge sale. Tout est pensé pour le bien-être des habitants... sans négliger le style ! Ce bâtiment s’inscrit dans le mouvement moderne où l’on prend le parti de remettre en cause l’ornementation, pour prôner la simplicité. C’est pourquoi l’immeuble est revêtu de carreaux blancs, de style métro, qui mettent en valeur les volumes et les lignes du bâtiment. Il est aussi remarquable par son ossature en béton armé avec un remplissage en brique creuse. L’architecte introduit un vide d’air important, de neuf centimètres, entre les briques creuses et les carreaux de plâtre à l’intérieur, pour obtenir une meilleure isolation.
Au centre de l’îlot, Henri Sauvage désirait installer un cinéma mais la Ville de Paris a choisi d’y construire une piscine, inaugurée en 1930 et rénovée depuis de nombreuses fois. On peut cependant la découvrir dans son aspect d’origine, avec ses belles couleurs, grâce à la rénovation conduite par l’équipe de Châtillon Architectes qui a reçu le deuxième prix Pool Design Award en 2018 pour cette réhabilitation/restauration très réussie. La piscine est très particulière puisque le bassin est entouré de cabines numérotées aux premier et deuxième étages, sur le modèle des tout premiers bains publics qui étaient proposés dans des bateaux sur la Seine. L’ensemble des façades et des toitures de l’immeuble, ainsi que la piscine sont classés depuis 1991 au titre des monuments historiques.
Nous sommes fier.e.s d’y avoir installé notre nouveau lieu de travail !
Photo : Thierry Nectoux