Le 18e du mois a invité le 17 octobre, Marie-Hélène Bacqué, coauteur d’un rapport important sur la politique de la ville, à parler de l’enjeu démocratique. Pour elle, cela suppose de revoir en profondeur les formes du débat.
Depuis quelques temps, le terme « participatif » a fait une entrée fracassante dans le vocabulaire politique. La démocratie est forcément participative, certains budgets sont devenus participatifs, etc. Dans le même temps, la participation électorale est plutôt en berne. Mais dans les faits, les citoyens ont-ils vraiment leur mot à dire dans les affaires de la Cité, une fois qu’ils ont désigné leurs représentants ?
Pour aborder cet enjeu que Le 18e du mois a affirmé dès… 1994, nous avions invité lors d’un débat, en marge de notre AG (lire p.23), la sociologue Marie-Hélène Bacqué (1). Celle-ci a été la corédactrice d’un rapport officiel qui décoiffe. « Après 2012, le ministre de la Ville, François Lamy, souhaitait engager une réforme de la politique de la ville, explique-t-elle. Mais les rencontres préparatoires n’associaient pas les habitants. Le ministère a donc confié à Mohamed Mechmache et à moi-même le soin de produire un rapport qui s’appuie sur la parole citoyenne. » En soi, l’événement est de taille : les rapports officiels sont « trustés » par des hauts fonctionnaires et des politiques. Cette fois-ci, sont à la manœuvre une universitaire et un leader associatif, du collectif AC le Feu, créé dans la foulée des révoltes de 2015.
Mobiliser les citoyens…
Pendant plusieurs mois, le duo Bacqué/Mechmache laboure le terrain de ces quartiers qui se sentent depuis trop longtemps les oubliés du pacte républicain. Il mobilise une conférence de 120 citoyens, jugés représentatifs de la sociologie des quartiers. « La question principale pour nous, c’était de mobiliser le pouvoir d’agir des citoyens, analyse-t-elle. Le monde associatif est très divisé entre les grandes fédérations qui s’institutionnalisent et les petites structures qui font vivre les quartiers mais qui sont très dépendantes des financements. »
Remis en juillet 2013, le rapport Bacqué/Mechmache propose ce que le ministre Lamy qualifiera de « révolutionnaire » : partir de l’initiative citoyenne pour oxygéner l’espace public. Les deux auteurs s’inspirent d’une expérience québécoise : les tables de quartier. « À Montréal, il en existe vingt qui disposent chacune de 100 000 dollars pour fonctionner », explique l’universitaire. Pour financer cette initiative, le rapport souhaite prélever 5 % des réserves parlementaires et ministérielles qui favorisent le clientélisme.
… mais comment ?
La réforme de la politique de la ville, votée en 2014, a semblé s’inspirer de cette démarche, mais en la faisant par la moulinette de la technocratie française l’a dénaturée. Facultatifs dans le rapport, les conseils citoyens (voir le 18e du mois de janvier 2015) sont devenus une obligation, laissée à l’appréciation des élus locaux et des représentants de l’Etat. Certes, des tables de quartier ont vu le jour (l’une existe dans le quartier Simplon animée par l’association CapaCités), mais elles n’ont pas la visibilité et la force qui leur permettraient de sortir les gens de leur isolement.
Lors du débat qui a suivi cet exposé, les deux élus du 18e présents, Michel Neyreneuf et Danièle Prémel, ont insisté sur la nécessité d’impliquer davantage les habitants. « Mais c’est vrai, a souligné le premier, il est plus difficile de les mobiliser quand ils se sentent menacés. »
Bruno Franceschi, un habitant de Charles Hermitte, a expliqué comment il a enclenché une mobilisation locale. « En assistant à un conseil de quartier, j’ai constaté que les habitants étaient très consommateurs en demandant toujours à la mairie d’agir pour que ça aille mieux. Moi, je pense que les habitants doivent se demander ce qu’ils doivent faire pour améliorer les choses. » Pour lui, l’enjeu c’est de se réapproprier l’espace public alors que le sentiment de « crainte de l’autre » qui se développe a tendance à le réduire à une peau de chagrin. Et quand l’espace public existe, il n’est pas toujours accueillant. « Voici quelque temps, j’ai amené une adolescente à un conseil de quartier, raconte Lydie Quentin, directrice des Enfants de la Goutte d’Or. En sortant, elle m’a dit : “C’est quoi, cette réunion, où les gens ne s’écoutent pas, ne se parlent pas” ».
En conclusion, Marie-Hélène Bacqué a insisté sur la nécessité de reconnaître les gens : « Quand on dit à la classe politique que les habitants ont des compétences, ils ouvrent grand leurs yeux. Pour que la démocratie soit plus participative, il faut former les citoyens, mais aussi les politiques. »
1. Elle est l’une des coordinatrices du numéro de la revue Mouvements (automne 2015) : « Ma cité a craqué. 10 ans après les révoltes urbaines de 2005 ».
Photo : © Christian Adnin
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