Journal d’informations locales

Le 18e du mois

mars 2024 / Les Gens

Fabienne Benveniste, de l’hôtel d’Augny à un parking souterrain

par Janine Mossuz-Lavau

Artiste peintre de l’abstraction figurative lyrique et députée de la République de Montmartre, Fabienne Benveniste a choisi un endroit atypique pour exposer ses toiles : le parking Blanche-Pigalle.

Parking expo : c’est un nouveau concept qui a vu sa première illustration avant Noël, tout près du Moulin-Rouge. En effet, Fabienne Benveniste, peintre non pas du dimanche mais professionnelle qui expose et vend, a convié ses amis et les amateurs d’art du quartier, où elle habite depuis plusieurs décennies, à la présentation de ses dernières œuvres… dans un parking. De grandes toiles montrant, à peine esquissées, des femmes chapeautées, en robes longues, fluides et légères. A l’image de l’artiste, dont Catherine, journaliste, souligne « cette curieuse combinaison de femme du monde et de burlesque, aussi à l’aise dans un château que dans un parking ». Toiles accrochées juste après l’entrée du parking, longeant la rampe de droite par laquelle montent les voitures et celle de gauche réservée à leur descente. Entre les deux, pour le vernissage, une table garnie de nourritures terrestres fournies par les commerçants du coin.

Enfance rebelle

À l’évidence, ce n’était pas la première exposition de Fabienne Benveniste dont les tableaux se sont promenés aux Abbesses comme à la Biennale de Venise, à Monaco et tout récemment à l’hôtel d’Augny, qui abrite la mairie du 9e arrondissement. Il fallait bien les trois grands salons Aguado pour accueillir cette œuvre qui n’est pas seulement celle d’une artiste mais aussi celle d’une députée de la République de Montmartre. Car, sur la colline des peintres, Fabienne porte fièrement, outre l’emblème jaune et bleu, le chapeau noir et l’écharpe rouge. Elle dessine et peint depuis l’enfance, attirée depuis toujours par la beauté. Ainsi, élevée dans le protestantisme, elle rêve d’être catholique car elle est fascinée par les églises, ce qu’elle y voit de dorures et d’angelots, ce qu’elle y respire, grisée par l’odeur de l’encens.

A l’école communale, elle se sent différente et n’est pas plus à l’aise dans sa famille où trop de secrets lui donnent l’impression d’être sous cloche. Décidée à s’exprimer, elle peint de grands ronds blancs sur les parois d’une cabane en bois trônant dans le jardin. Plutôt que de s’extasier, les adultes l’obligent à la repeindre en marron. La beauté ne sort donc pas victorieuse, pas plus que l’autre boussole de l’artiste en herbe, la liberté.

Au collège, quand la directrice passe, les élèves doivent mettre leurs mains dans le dos. Ce qui ne plaît guère à Fabienne. Elle avertit sa sœur : « Pense que tu ne les as pas dans le dos. Sinon, quand tu seras vieille, tu marcheras courbée avec les mains dans le dos ».

Passion transatlantique

Ses études secondaires la voient fréquenter le lycée Montaigne. Puis, après quelques années de psychologie, elle intègre les arts plastiques à l’université de Saint-Denis. Elle y côtoie une étudiante enceinte qui soulève, malgré son état, une table très lourde : un souvenir qui lui revient quand elle déplace ses grandes toiles, des femmes fortes qui « portent ». On la retrouve ensuite au Canada, inscrite à nouveau aux Arts plastiques, habitant chez les uns et les autres, s’essayant au théâtre d’avant-garde. Elle peint beaucoup mais en son absence, sa colocataire étant partie à la cloche de bois, ses tableaux sont mis à la poubelle. Seuls subsistent ceux déposés chez des amis. Elle passe deux ans et demi là-bas, épouse un Québécois et s’installe avec lui près de la place Blanche. Comédien, fragile, il n’échappe pas à quelques séjours hospitaliers. Elle doit s’en occuper, gagner de l’argent pour la famille, agrandie par l’arrivée de deux nouveaux-nés.

Elle travaille alors au service de presse du musée d’Orsay. Arrêt obligé de la peinture, ce qu’elle ne va pas supporter très longtemps. Jusqu’au jour où elle achète une grande toile et réalise un portrait en couleurs de ce mari, avec elle et leur première fille, tous trois costumés en rois et reines. « Les traits sont forcés mais l’âme est là », dit-elle en repensant à ce tableau. Il est temps de repartir sur le sentier de guerre de la création artistique. Le mari retourne au Québec, elle transforme leur appartement et ressort un des rares tableaux sauvés de l’épisode canadien.

Puis arrive dans sa vie Éric-Marc Perdrizet, architecte d’intérieur, qui tombe en pâmoison devant la toile fixée au mur. Il posera ses valises dans cet appartement du bas de Montmartre et deviendra son second mari.

Le temps des parkings

Fabienne gagne alors sa vie comme scénariste de dessins animés et dialoguiste de jeux vidéo, entamant ‒ en avance sur son temps ‒ une œuvre numérique. Éric a le sens de l’évènementiel et raffole des lieux insolites. Il organise donc, dans l’ancien hôpital Beaujon, l’exposition « Boucherie haute couture ». D’autres suivront, dans le 18e : rue Coustou, à la Mascotte, sur le boulevard de Clichy. Naît ainsi, à la frontière du 18e et du 9e, Le Mur de Berlin, une œuvre collective sur laquelle, dans la surface qui lui est réservée, elle étale du rouge, comme du sang caillé. Un fil soutient l’ensemble et, quand le représentant de la Mairie le coupe, le mur s’écroule, c’était en 2009, pour fêter le dixième anniversaire de la chute du Mur.

Fabienne dispose maintenant d’un atelier place Saint-Georges et affectionne toujours le grand format. Elle travaille d’abord au fusain puis à la peinture, plonge des pigments dans de l’acrylique et ponctue avec des pastels, secs ou gras selon l’inspiration. Elle conclut avec, comme elle le dit joliment, « des lâchers de fusains ». Le tout, le plus souvent, sur des toiles de Jouy.

D’autres « Parking expo » sont envisagées. Mais on ne reverra pas la dame aux visage et buste noirs, achetée par une Américaine, elle s’est envolée pour Chicago. Au grand regret de Montmartrois comme Christian Boss, kinésithérapeute, qui regrette de ne pas s’être uni à d’autres pour l’acheter.

Photo : Thierry Nectoux

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