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janvier 2021 / Culture

Derrière le rideau, la création résiste

par Dominique Boutel

Derrière les portes fermées des théâtres

Au Grand Parquet, qui se définit comme une « maison d’artistes », l’autorisation donnée pour ce deuxième confinement d’accueillir résidences et répétitions fait la différence : « Notre fonction, c’est de donner les moyens aux artistes de créer ou de répéter des spectacles qui sont ensuite présentés le plus souvent au Théâtre Paris Villette », explique Adrien Le Van, qui dirige les deux salles. « Le Grand Parquet navigue donc mieux que d’autres lieux, ajoute-t-il. L’accueil de compagnies est son ADN et le théâtre est donc, de façon invisible, en pleine activité. » Le Grand Parquet reste la base arrière des distributions de petits déjeuners aux migrants du Jardin d’Éole. Par ailleurs, les résidences prévues sont maintenues et certains spectacles, comme La Reproduction des fougères de la compagnie Les Filles de Simone, en résidence au Grand Parquet pour toute la saison, verra le jour, mais uniquement dans certains collèges parisiens qui, eux, peuvent accueillir des intervenants extérieurs.

Ce qui coince, ce sont les reports : « C’est un jeu de dominos et on ne pourra plus reporter les spectacles la saison prochaine si on ne peut pas jouer en janvier. Une saison en quatre mois, c’est impossible. » C’est surtout un travail éreintant pour les équipes qui doivent rappeler les spectateurs, démonter les décors, déplacer la communication, gérer les avenants aux contrats, repenser le calendrier : « Personne n’était en chômage partiel en décembre dans l’équipe, qui aurait préféré remplir les salles que les vider », observe Adrien Le Van.

A l’Etoile du Nord, où se déroulent également des résidences et des spectacles, Jean-François Munnier, le directeur, a décidé dès l’annonce du deuxième confinement de soutenir les sept compagnies programmées pour un festival de théâtre en novembre, puis une compagnie de danse qui travaillait sur un spectacle jeune public en création. Il leur a proposé des temps de résidence avec l’équipe technique, pour travailler sur la mise en espace, les lumières, en concluant par deux rencontres avec des professionnels. Au total plus de cinquante programmateurs, en présentiel ou en zoom. « Les artistes avaient besoin de tester leurs spectacles en les jouant. La scène est un révélateur », explique Jean Francois Munnier qui raconte comment une compagnie a fini par trouver le début de son spectacle grâce à la possibilité de le vivre enfin sur scène et non dans son salon. « Cette période nous a rendus plus disponibles, nous a permis de nous sentir essentiels dans notre accompagnement, avec une vraie place à jouer en ce moment ; les programmateurs doivent voir des projets artistiques pour les proposer l’année prochaine. »

Au FGO-Barbara et aux Trois Baudets, Naïma Bourgaut, codirectrice – aux côtés de Léo Jouvelet – de la structure Madline, gère une équipe de trente personnes. Pour elle, impossible d’être dépendante des effets d’annonces d’un gouvernement qui qualifie la culture de non essentielle. « Il faut avoir un coup d’avance », affirme-t-elle. Les locaux avaient donc fermé en mars et les équipes préparé une ré-ouverture pour l’automne. Mais il a fallu à nouveau recomposer. Les deux festivals programmés en fin d’année, Avant l’après, un calendrier musical aux Trois Baudets et Ici demain au FGO-Barbara deviennent donc très vite des projets de captations. L’équipe fait appel à Sourdoreille production (un collectif de journalistes et vidéastes) qui, avec la complicité des équipes techniques des deux établissements, imaginent et réalisent deux festivals virtuels : travail de lumière, coaching des artistes pour accompagner ces livestreams et retrouver les sensations du concert en réel, le tout sur des périodes courtes. Il faut créer un évènement, plus concentré en terme de rendez-vous, pour diminuer les coûts de production très importants et frapper fort en terme de communication. « Cela nous a fait beaucoup de bien : c’était comme si nos salles étaient ouvertes, c’était vivant, il y avait des gens qui travaillaient, avec les masques et les précautions requises bien sûr. »

La grande frustration pour les équipes, c’est l’annulation de toutes les actions éducatives, comme le projet Décembre ensemble, avec les associations, et des pratiques amateurs, essentielles sur un territoire dont les populations ont beaucoup de difficulté à avoir accès à la culture

Le 360 Paris Music Factory, lui, a ouvert en janvier pour fermer en mars ! Puis, pas le temps d’attendre, l’équipe a imaginé dès l’été des sessions lors desquelles les artistes jouaient dans la salle de restaurant pour un public massé pour beaucoup dans la rue. A peine le lieu découvert par les habitants du quartier qu’intervient la deuxième fermeture, entraînant l’annulation d’une vingtaine de concerts. Le 360 étant doté d’une salle équipée pour les captations, un partenariat avec Arte permet tout de même des retransmissions en direct (toujours visibles sur le site Arte Concert) comme celle du dimanche 20 décembre : Yalda, Noël persan.
Par ailleurs, le lieu a permis pendant toute cette période une formation à la musique électronique pour des amateurs, un atelier de chants kurdo-persans, et a réalisé l’enregistrement d’un nouvel album de l’artiste Rusan Filiztek.

Pour tous ces lieux, il faut maintenant retrouver l’énergie de travailler sur la programmation de la rentrée, en espérant qu’il leur sera bientôt permis de rouvrir. Il en va de la santé de la profession.

Photo : Thierry Nectoux

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