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décembre 2019 / Le dossier du mois

Retour sur le démantèlement des camps de la Chapelle

par Christine Legrand, Claire Rosemberg

Plus de 1 600 migrants ont été évacués de la porte de La Chapelle, selon un scénario déjà bien rodé. Il s’agissait de la 59e évacuation parisienne depuis 2015. Retour sur cette opération avec les membres du collectif Solidarité Migrants Wilson, qui ont tenté en vain de sauver tentes et couvertures.

L’opération a démarré à l’aube, jeudi 7 novembre, sous une pluie glaçante. Dès 6 h du matin, 600 policiers avaient été déployés pour évacuer plus de 1 600 exilés qui vivaient depuis des mois dans des conditions inhumaines le long du périphérique et de l’échangeur de l’autoroute A1, autour de la porte de La Chapelle et de l’avenue du président Wilson. Son objectif ? Démanteler pour la 59e fois ces « campements de la honte », qui se reforment depuis des années dans le nord de la capitale.

Dès 4 h du matin, des bénévoles du collectif de riverains Solidarité Migrants Wilson, étaient présents sur place. Leur mission ? Suivre le déroulé de l’opération. Mais aussi sauver les tentes et les couvertures fournies aux migrants grâce à la générosité de donateurs de toute l’Europe. « On a vu tant de personnes dormir à même le sol dans le froid et sous la pluie, même des femmes enceintes », soupire Clarisse Bouthir, membre du collectif.

Matériel confisqué et détruit

Ils étaient ainsi une trentaine à démonter dans la nuit les arceaux et à ranger soigneusement les toiles et couvertures dans d’énormes sacs en plastique jaune. Ce matériel devait être ensuite désinfecté pour pouvoir être réutilisé. Peine perdue. « Les policiers nous ont laissé rassembler nos sacs, poursuit Clarisse. Et soudain à 8 heures du matin, ils les ont jetés dans des broyeuses, qui ont tourné pendant des heures. On avait réussi à mettre quelques sacs de côté, mais avant de partir, les derniers policiers présents les ont fait jeter dans des bennes. » Clarisse dénonce un immense gâchis. « On n’a rien pu récupérer : 985 tentes et 5 000 couvertures sont partis à la poubelle. L’hiver risque d’être beaucoup plus compliqué », dit-elle.

Les familles avec enfants, environ 250 personnes, ont été les premières évacuées, ainsi que des mineurs isolés. Puis les hommes. « On avait prévenu les migrants, raconte Philippe Caro, membre du collectif, présent lui aussi à l’aube. Certains ont préféré s’enfuir pour échapper aux contrôles de police. Beaucoup ont fait le choix de monter dans les bus, car ils en avaient ras le bol. » Des Afghans, des Somaliens, des Soudanais. La plupart viennent de pays en guerre et relèvent du droit d’asile.

Ils se sont mis en file indienne, attendant sagement leur tour pour monter dans les véhicules. Certains avaient des valises à roulettes, d’autres un simple sac plastique pour emporter leurs maigres affaires. Ils ont été conduits ensuite dans des gymnases, réquisitionnés à Paris et dans toute l’Ile-de-France. Une mise à l’abri provisoire, le temps d’examiner leur situation administrative.

Cirque médiatique

L’opération s’est déroulée dans le calme. Anne Hidalgo, maire de Paris, le préfet de Paris, le préfet d’Ile-de-France, présents dès l’aube, ont fait des déclarations devant les journalistes, autour du cou desquels pendait une accréditation de la préfecture. « C’était un peu un cirque médiatique », ironise Philippe, surpris par le décalage entre les discours officiels et la réalité du terrain.

« Quand les derniers bus sont partis, il y a eu une période de flottement, raconte-t-il. Environ 200 migrants n’ont pu monter, faute de places. » La préfecture a demandé alors aux journalistes de reculer. Ils ont obéi et sont partis. « Ils avaient compris qu’on ne voulait plus qu’ils filment ceux qui restaient en plan. » Philippe, lui, a filmé avec son portable et a posté la scène sur la page facebook du collectif. Ces laissés-pour-compte ont été escortés par la police « tel un troupeau », dit-il, jusqu’à la porte d’Aubervilliers, où on les a sommés de ne pas revenir en arrière. « On a sciemment remis à la rue des personnes à qui on avait enlevé toutes leurs affaires, leurs tentes, leurs couvertures », dénonce-t-il.

Photo : Thierry Nectoux

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