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avril 2017 / La vie du 18e

L’aide aux migrants mise à l’amende [Article complet]

par Danielle Fournier

Des citoyens qui venaient nourrir des migrants autour du centre d’accueil de La Chapelle ont été verbalisés.

Une interdiction de nourrir les migrants est en vigueur à Vin­timille, sous prétexte de normes d’hygiène, nous sommes donc hors-la-loi », disaient les bénévoles il y a quelques semaines à la frontière italienne. Depuis, la maire de Calais a décidé d’interdire les distributions de nourriture et, à Paris, c’est le collectif Solidarité migrants Wilson qui nous alerte : « Après les retraits de couvertures, après les dispersions, après les pierres [posées devant le centre], on passe à l’étape suivante : les migrants sont empêchés de manger ».

Des toits improvisés

Sur place, les abords du centre de la porte de La Chapelle n’ont rien d’humanitaire : l’afflux de migrants qui attendent de pouvoir entrer ou qui simplement se regroupent parce qu’ils ne savent pas où aller est impressionnant. Quelques tentes s’alignent près de la sortie du centre : devant, ceux qui attendent et ceux qui sont à l’intérieur improvisent des passes de foot en riant.
Le soir, ils se glissent entre le grillage d’enceinte et les barrières de canalisation des flux pour dormir au plus près de la porte d’accès qui ne laissera passer, le matin venu, qu’une cinquantaine de personnes au mieux. Quelques couvertures jetées à cheval sur les barrières improvisent un toit.
D’autres attendent plus loin, des ombres parmi les rochers, sous le viaduc ferroviaire, dans l’îlot étroit entre les deux voies du boulevard des Maréchaux. Tous jeunes, souvent regroupés par nationalités, et heureux de parler, de se raconter si on vient vers eux. Et si des associations, des collectifs, de simples citoyens viennent pour donner à manger, la file s’organise et chacun espère un peu de survie.

Stationnement gênant

« Il n’y a eu aucun arrêté pris par la préfecture de police au sujet de la distribution de nourriture. En revanche, nous demandons aux associations de se décaler pour éviter les troubles à l’ordre public. » Évidemment, le carrefour de la porte de La Chapelle n’a pas été prévu pour distribuer de l’aide mais, en l’absence de lieu adéquat, c’est là que se retrou­vent ceux qui ont envie de donner un coup de main et ceux qui en ont terriblement besoin. Troubles à l’ordre public ? Si le cen­tre affiche complet, si les migrants ne cessent d’arriver et s’installent où ils peuvent, entre les pierres, les grilles et les voies de circulation, il est vrai que l’espace public est saturé mais l’or­dre public en est-il troublé ?
En tout cas, des bénévoles ont bien été verbalisés et ont eu droit à des amendes de 35 € émises par la préfecture lorsqu’ils déchargeaient leur matériel pour le petit-déjeuner, comme tous les matins. C’est ce qui est arrivé à Agnès C. et une autre bénévole le 16 février. Le motif : « Sta­tionnement gênant de véhicule en double file », alors que les deux voitures « étaient garées dans une allée hors circulation », et les conductrices « dans leur voiture, encore chargées du matériel pour la distribution ».
Il s’avère que le 58 boulevard Ney « est un des accès au centre d’accueil. Il ne donne pas directement sur le boulevard lui-même mais sur une allée qui manifestement n’appartient pas au réseau de circulation publique ». Elle ajoute : « Bon, d’accord, ces deux contraventions-là ne se montent qu’à 35 €, 100 € de moins que celles dont on avait pris l’habitude, mais quand même… Et à part ça, on ne cherche pas à décourager ni intimider les bénévoles, non-non. » Il semble que ce soit sans effet, car tous ceux qui viennent régulièrement ou occasionnellement sont unanimes pour se dire « étonnés par le potentiel de solidarité des habitants » et la qualité des rencontres lors de ces « distributions quotidiennes de chaleur humaine, de sens, de dignité et de rires ».

La fraternité des artistes

Le collectif baptisé Art in the jungle a recouvert une partie des pierres d’un ruban siglé « fragile » puis les tailleurs de « Cœurs de pierre et solidaires », « les pierreux » comme ils se désignent, se sont mis au travail et ont sculpté ces rochers inhospitaliers : « fraternité » prend forme en lettres majuscules, « refusé », « en mémoire de ceux qui ne sont pas arrivés » peut-on lire, au ras du flot de circulation incessant. Et les pierres placées sous le viaduc sont devenues plus accueillantes.
Dans le centre, ce sont les anges bleus de deux artistes du 18e, connues sous le nom d’Ange & Dam, qui « ont été accueillis par Emmaüs ». « Depuis la nuit des temps, ils se sont taillé une légitime expérience de voyageurs, forcés qu’ils étaient d’aller informer, colporter, démentir les bonnes ou les mauvaises nouvelles, accaparés par des lobbies religieux qui se les étaient appropriés. […] Les anges sont par définition sans-papiers. Citoyens du monde, leurs particularités, c’est d’avoir des ailes et d’être de toutes les couleurs. Ils volent au secours des idées, véhiculent des informations hors des sentiers battus », écrivait Yves Gautier en 2006. Depuis de nombreuses années ils colorent le 18e et avec Ange & Dam, ils nous parlent à tous de liberté !


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Photo : © Jean-Claude N’Diaye

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