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mars 2016 / La vie du 18e

Bidonville de la porte des Poissonniers : une évacuation mais pas de solutions

par Sophie Roux

Malgré une décision de justice leur accordant un délai d’occupation jusqu’au 15 juin, les habitants des cabanes installées sur la petite ceinture sont aujourd’hui dispersés dans des hôtels… ou d’autres bidonvilles.

Mercredi 3 février, vers 5 h 30 du ma­tin, des cars de CRS se garent porte de Clignancourt. Près de 400 personnes occupent encore un terrain sur la petite ceinture de la porte des Poissonniers à la porte de Clignancourt. Plusieurs associations sont sur place. Le Secours catholique, l’École dans la rue, le Collectif Rom Paris, les Enfants du Canal, Médecins du monde, la Ligue des droits de l’homme et le MRAP accompagnent depuis des mois les familles dans leurs démarches de domiciliations, de suivi médical, de scolarisation et d’insertion professionnelle.
Les premières cabanes sont construites en avril-mai 2015 (voir Le 18e du mois de novembre 2015). Les associations retrouvent sur ce terrain des personnes connues évacuées de la porte de la Villette, d’Aubervilliers, de la Courneuve. SNCF Réseau, propriétaire du terrain, saisit en référé la justice et obtient le 30 septembre un jugement ordonnant l’évacuation du terrain.

Depuis près d’un an

Des habitants du bidonville créent avec des bénévoles l’association Bâtisseurs de cabanes. Il s’agit de construire des maisons durables pour sortir du cycle bidonville, expulsion, bidonville, cycle infernal « et coûteux ! », nous dit André Feigeles du collectif Rom Paris. Avec l’aide d’architectes proches de l’association le Perou (voir encadré), 88 habitants s’impliquent. Le projet, déposé en mairie le 18 janvier, propose la construction d’une soixantaine de logements familiaux ; le coût est évalué entre 2 et 3 millions d’euros.
C’est l’espoir d’une solution durable. « Notre présence régulière a permis de tisser des liens de confiance, nous dit Nathalie Jantet, bénévole au Secours catholique. Mais avec ceux qu’on retrouve d’un terrain à l’autre, on doit souvent tout recommencer. Ici, au début, on a senti que c’était compliqué pour qu’ils nous fassent à nouveau confiance. » L’implication d’habitants dans le projet des Bâtisseurs de cabanes est le signe que, même s’ils sont fatigués des expulsions à répétition, « ils ont des idées, ils se démènent, ils se prennent en main », ajoute son collègue Nicolas Clément.

Un délai refusé

Pour mener à bien leur projet, les habitants demandent un délai de quelques mois. Prévenus de l’évacuation imminente, une centaine d’entre eux manifeste devant la mairie du 18e le 1er février pour s’opposer aux relogements provisoires et demander que soit étudiée leur propre solution. Le 2 février, Gérald Briant, adjoint au maire du 18e chargé des affaires sociales, du logement d’urgence et de la lutte contre les exclusions, les reçoit. Compte tenu du caractère dangereux du terrain et des mauvaises conditions sanitaires, il estime que l’expulsion ne peut être suspendue.
Le 3 février, au petit matin, la plupart des familles sont déjà parties. Les bénévoles des associations aident ceux qui sont encore là à terminer leurs bagages. Les services de la préfecture et les CRS entrent sur le terrain vers 7 h 15. Les bénévoles des associations, dont des traducteurs, sont priés de sortir.
Au final, 167 personnes ont des propositions de relogement : 47 à Stains, 25 à Gennevilliers, 26 à Noisy-le-grand, 25 Les Ulis, 24 à Conflans-Ste-Honorine, 20 à Mau­repas. Ils seront hébergés 15 jours, renouvelables, mais pas forcément dans le même hôtel. Pour expliquer le refus de certains habitants des solutions de relogement proposées, les associations insistent sur leur courte durée et pointent la crainte de certaines familles qu’on relève leur identité pour leur signifier quelques jours plus tard une obligation de quitter le territoire français.

Un jugement non respecté

Le pire est qu’un jugement avait été rendu le 27 janvier, accordant aux habitants un délai d’occupation jusqu’au 15 juin 2016 pour permettre « une prise en charge médicale ». L’avocate des familles, Julie Launois, avait en effet saisi le juge de l’exécution du tribunal de grande instance le 18 décembre 2015 pour obtenir un délai. L’avocate n’a été informée du jugement rendu le 27 janvier que le 12 février… 9 jours après l’expulsion !
A ce jour, seule une soixantaine de personnes seraient hébergées en hôtels, sans accompagnement sanitaire et social. La plupart serait allée grossir les bidonvilles de la région. D’autres vivent dans les rues de Paris.

Photo : © Jean-Claude N’Diaye

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Dans le même numéro (mars 2016)